Le grand jeu, Céline Minard
Le grand jeu, 190 pages, 18 euros, août 2016
Ecrivain(s): Céline Minard Edition: Rivages
Nous voici avec un, ou plutôt une Robinson Crusoé moderne. Une femme décide de s’isoler dans une région montagneuse sur une terre qu’elle a achetée. Elle y a construit une sorte de grande bulle moderne à l’abri des intempéries et du regard des autres. « Et subitement mon habitacle m’est apparu comme le dernier éclat d’une technologie avancée tandis que toutes les villes gisaient à mes pieds, pétrifiées, recouvertes, méconnaissables et même insoupçonnables. » Expérience extrême et existentielle. Tout au long du livre, elle rend compte de ses questionnements sur elle et sur le rapport ou non rapport à autrui. « Le regret engendre la détresse. « Je n’aurais pas dû » est le début et le fond de la détresse. Le conditionnel tout entier, ce temps révolu qui n’est même pas le passé est le fondement et peut -être le créateur de la détresse. L’occasion qu’elle s’installe » affirme-t-elle en début de récit. Cette femme veut à la fois vivre parmi la nature et mettre à l’essai ses propres limites. « Est-ce que s’affoler, ne plus rien maîtriser - ni ses sensations, ni ses pensées, ni ses actions - c’est refuser le risque ? Refuser de le courir, de le prendre mais aussi refuser qu’il comporte une part de calcul (un aspect prévisible) et le jeter du côté du danger. Paniquer c’est choisir un maître. »
Il y a aussi toute une réflexion sur le monde animal et la prétention de l’homme d’être plus qu’un animal ou tout au moins très différent. « Ma présence est construite à partir de formes de vie animales. Qu’est-ce que cela change ? Si je pouvais lever la carte de leurs perceptions, quels contours aurait mon corps ? ».
Mais, Robinson suppose Vendredi. Elle découvre qu’elle n’est pas seule sur ce territoire, elle devra aller à la rencontre d’une ermite, d’« une sauvage » qui est déjà là. Il s’en suit pour elle, une multitude d’interrogations sur la rencontre et la place d’autrui, axée essentiellement sur les idées de violence, de jeu, de promesse et « du temps qui passe ». « Je veux imaginer une relation humaine qui n’aurait aucun rapport avec la promesse ou la menace. Qui n’aurait rien à voir, rien du tout, avec la séduction ou la destruction (…) J’ai essayé. On ne peut pas jouer seul aux échecs. On ne peut pas s’oublier au point de se surprendre. Peut-on s’oublier au point de s’accueillir ? (...)Je me demande si on peut s’exercer à l’événement. A ce qui arrive au monde. » Elle voulait fuir la bêtise humaine et la voilà de nouveaux aux prises avec l’homme. Elle ne peut ignorer celle qui est sur son territoire et qui semble à la fois indifférente, mais aussi pleine de provocations et de facéties. « J’ai pesé cette sensation. Puis je l’ai contourné lentement et j’ai posé ma bûche dans le foyer. Quand j’ai été assise devant lui, sa main est sortie des plis de son vêtement, fulgurante, sa main gauche. L’ongle de vingt centimètres était accroché à son index et entourait le corps de sa bouteille d’alcool blanc qu’il me tendait comme un serpent sec racorni autour d’un diamant. »
C’est peut-être finalement le jeu qui sauvera ces deux êtres de la violence…
Zoé Tisset
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