Le Goût des fleurs, Collectif / Le Goût des arbres, Collectif (par Didier Smal)
Edition: Mercure de France
Le Goût des fleurs, Collectif, Mercure de France, mai 2021, textes choisis et présentés par Sandrine Fillipetti, 128 pages, 8,20 €
Le Goût des arbres, Collectif, Mercure de France, mai 2019, textes choisis et présentés par Gérard de Cortanze, 128 pages, 8,20 €
Par goût, c’est le cas de le dire, de la nature, on picore dans la vaste Collection Le Goût de… deux petites anthologies, comme ça, en baguenaudant, et on se laisse emporter le temps d’un petit voyage sortant des sentiers battus, aux multiples étapes, bien choisies, parfois inattendues, parfois peu fréquentées (mais Dieu qu’on y est en paix, Dieu qu’on désire y séjourner plus longtemps), dont la visite est rendue plaisante par un guide qui connaît son affaire…
Expliquons. Pour des petits livres, cent vingt-huit pages, dix centimètres sur seize, ceux de la Collection Le Goût de… peuvent sembler onéreux, surtout dans un monde où la gratuité devient un critère de qualité – 8,20 €, s’exclame le chaland ! Certes, mais la qualité a un prix, or ces petits ouvrages sont d’une qualité supérieure : les extraits sont brefs et intenses, chacun étant précédé d’une introduction à la fois informative et littéraire, c’est-à-dire bien écrite, bien sentie. Surtout, pour les deux anthologies ici évoquées, le choix évite de se cantonner aux évidences, aux titres qui viendraient spontanément à l’esprit – ce qui n’empêche en rien certaines reconnaissances, qui ensuite frappent telles des… évidences.
Ainsi, pour Le Goût des Fleurs, Fillipetti épargne au lecteur toute une kyrielle de poèmes ou de romans attendus – bien qu’elle ait choisi des extraits de La Dame aux camélias et de La Tulipe noire (comment faire autrement ? ne pas y butiner eût semblé inutilement snob !) – mais fait sourire par des choix auxquels on n’aurait pas pensé de prime abord, que ce soit le nénuphar de L’Écume des jours ou la rose à craindre du Meilleur des mondes, pour citer les deux extraits concluant son anthologie. Celle-ci est par ailleurs structurée selon la marguerite dont tout le monde a un jour arraché les pétales divinatoires : Un peu, beaucoup…, Passionnément et À la folie, trois étapes d’un voyage floral aux senteurs multiples (ainsi, selon Colette, la pivoine sent le hanneton), oscillant entre contemplation de la fleur et méditation à partir de celle-ci – ne résistons pas à ces belles phrases extraites d’Obermann :
« Si les fleurs n’étaient que belles sous nos yeux, elles séduiraient encore ; mais quelquefois leur parfum entraîne, comme une heureuse condition de l’existence, comme un appel subit, un retour à la vie plus intime. Soit que j’aie cherché ces émanations invisibles, soit surtout qu’elles s’offrent, qu’elles surprennent, je les reçois comme une expression forte, mais précaire, d’une pensée dont le monde matériel renferme et voile le secret ».
Le choix effectué par Cortanze pour les arbres ne démérite pas, et l’on voit poindre des affinités – deux extraits de l’œuvre de Flaubert – qui sont la marque de l’anthologiste. Celui-ci vogue de la poésie à la prose, avec entre autres un détour indispensable par le beau recueil Arbres de Jacques Prévert (dommage que soit absente une gravure de Ribemont-Dessaignes pour illustrer le poème choisi) et, bien sûr, la fable du Chêne et du Roseau. De la Renaissance au romantisme, l’arbre est célébré en vers par les plus grandes plumes de la littérature française, semble dire Cortanze – dressant pour le chêne ou le hêtre un réquisitoire plus vibrant que n’importe quelle campagne de sensibilisation. Du côté de la prose, que des choix élégants, avec en sus l’émotion de Semprun évoquant « l’arbre de Goethe ». Mais le meilleur est la troisième partie de cette anthologie, Contes et légendes de l’arbre, qui plonge ses racines dans la littérature antique pour remonter aux branches de Grimm, Perrault ou Cervantès, et enfin offre pour cime un beau texte polémique signé Jean-Marie Rouart.
Dans les deux cas, et au contraire de nombre d’anthologies plutôt à destination scolaire, l’on ressent dans celles de la Collection Le Goût de… que l’auteur invite le lecteur à visiter sa bibliothèque, puis visiter à son tour la sienne, pour une forme de dialogue enrichissant. Un peu comme deux végétaux en symbiose qui surprennent, accrochés à un vieux mur littéraire qu’ils sont, par leurs floraisons se confondant.
Didier Smal
Sandrine Fillipetti est une critique, journaliste et autrice française.
Gérard de Cortanze (1948) est un auteur français.
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