Le geste du regard, Renaud Ego
Le geste du regard, mars 2017, 104 pages, 20 €
Ecrivain(s): Renaud Ego Edition: L'Atelier Contemporain
Il est parfois difficile de restituer le goût d’un livre à travers quelques propos dialectiques, par exemple. Ce qui est beau est compris universellement sans concept comme on le sait depuis Kant. Et, avec le très beau livre de Renaud Ego, on retrouve cette beauté, à la fois par le sujet traité et par le traitement du sujet. En effet, cette langue claire de l’ouvrage ne s’abîme pas dans le secret de l’art pariétal, mais au contraire, lui redonne une dimension supplémentaire en interrogeant la question du regard, l’acte de regarder et de saisir des images – soit ici, saisir comment l’homme est présent et quitte son habit animal.
Donc, il faut remercier Renaud Ego de nous donner à lire une étude passionnante sur le sujet de l’origine ; origine de l’homme qui se sépare de l’animal, homme de l’origine ; figures originelles, figures originaires. D’ailleurs, selon sa thèse, le début s’étire sur des millénaires de fabrication de pierres bifaces, où R. Ego imagine un au-delà de l’outil, une première forme spectaculaire de la symétrie du corps humain.
Il faudrait détailler le nombre de théories qu’invalide ou accrédite le livre, pour se faire une idée générale de ce « geste du regard » dont il est question, sans nécessité d’ailleurs d’un savoir scientifique chevronné pour tirer partie de ce livre. Ce geste nous est restitué par un spécialiste qui a aussi une partie de son travail dirigé vers la création poétique. C’est ainsi que le livre montre très bien, et presque poétiquement, comment cette préhension de l’image de l’homme l’ouvre à sa propre nature d’homme, aux prises, qui sait, à une interrogation spirituelle ou métaphysique, au sens moderne.
Citons :
La figure ne se contente pas de désigner au fond d’elle-même l’horizon d’une interrogation. Son adresse, qui est à la fois sa question et l’agilité de la main qui lui donne forme, est aussi une action. Elle ne se contente pas non plus de vouloir voir, et pour cela de montrer, elle fait apparaître et, dans cette apparition, ouvre le monde des choses visibles à celui des idées qui ne le sont pas. C’est parce qu’elle accomplit cette transformation fondamentale – de la substance en son apparence puis de cette apparence en une forme à penser – qu’elle est un geste, le geste du regard.
Le livre est illustré de photographies de différents objets pariétaux, qui laissent entendre une démarche qui s’approfondit de chapitre en chapitre, où l’auteur nous guide vers sa propre vision des choses, avec l’idée toujours de tenir le réel paléolithique comme approprié par son propre mystère. Oui, on peut imaginer un au-delà où le réel préhistorique ne serait pas figé par la matière, mais interrogé et inquiet. L’homme qui fabrique ces images est dans une position d’invention, de création d’une énigme – pour lui-même autant que pour nous. Mystère de la mort, renouveau de la fécondité, humanité et son inquiétude, ses avatars techniques et artistiques, sa société.
Appelons ce mouvement « un vouloir voir ». Il serait, dans le domaine de la vision, une pression mise à se dessiller et, d’un même geste, à creuser le visible en vertu d’une curiosité qui est aussi une volonté de connaissance et de maîtrise.
Et puis, comme notre mystère humain persiste à travers tous ces âges lointains, et avec lui la dernière énigme, le secret inimaginable (et ainsi approprié par l’image et son statut ambigu, qui est celui de fixer quelque chose de réel tout en en étant une re-présentation), secret impénétrable de la mort, on comprend un peu la tonalité angoissée de notre origine.
Il faut cependant conclure pour laisser le lecteur de l’ouvrage découvrir par lui-même une « vision », notamment de l’Aurignacien, et cela à travers la magnifique clarté d’une langue confinant au poétique :
Comme en tant d’autres, l’homme interroge ici sa propre genèse à l’instant où, figurant le monde animal qui l’entoure, il s’en détache. Ni absent ni invisible de l’art paléolithique le plus ancien, comme on le lit souvent, il est la main qui trace les motifs et les yeux qui se posent sur eux.
Didier Ayres
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