Le fil, Sophie Lemp
Le fil, mai 2015, 96 pages, 15 €
Ecrivain(s): Sophie Lemp Edition: Editions de Fallois
Le parfum du tilleul
Dans la mythologie romaine, les Parques tissent le fil de la destinée. Dans la première scène du Crépuscule des dieux, les Nornes tressent ce même fil mais il se rompt, sinistre présage de ce qu’il va advenir. Chez Sophie Lemp, le fil c’est ce qui la relie à sa grand-mère dont la mort, deux ans auparavant, est la source d’inspiration de son court récit. Une de ces grands-mères idéales qui a l’amour pudique. Sophie l’a très bien connue. Très bien et très mal à la fois, comme elle va le découvrir. Sa grand-mère a laissé trois carnets qu’elle a commencé à noircir après la naissance de sa petite-fille.
« Je me souviens de ce 9 mai 1979 ; le coup de téléphone de la maternité. Le matin, l’après-midi qui n’en finissait plus puis ton papa qui m’appelait vers 16 heures : C’est une belle petite fille ! Écoutez-là ! Et je t’ai entendue pleurer ».
Le fil alterne ainsi entre le présent et le passé : Sophie voit toute son enfance défiler. A chacune des pages noircies par sa grand-mère, elle découvre à quel point elle la chérissait. « Je t’aime ma petite fille et je te souhaite l’espoir, l’équilibre, le courage, l’amour des autres ».
Puis elle découvre les lettres d’amour échangées entre son grand-père Christian et sa grand-mère. « Se dessinait peu à peu le portrait de la jeune fille qu’avait été ma grand-mère et celui de mon grand-père. Je ne savais rien de lui. Il avait fallu qu’elle meure pour qu’en moi, il prenne vie ». Car à 25 ans, sa grand-mère a vécu un drame. Cinq ans après avoir rencontré son mari, celui-ci s’est endormi au volant et il est mort dans un accident de voiture ; leur fille, la mère de Sophie, a été blessée.
La petite Sophie grandit, ses parents se séparent et elle va le mercredi chez sa grand-mère qui se garde bien de prendre le parti de l’un ou de l’autre. « Après le divorce, elle continua de voir mon père de temps en temps ». Des années plus tard, le père de Sophie ira voir son ex-belle-mère jusqu’à la fin « pour que ma mère et son compagnon puissent souffler un peu ».
« Quand elle rédigea les faire-part, ma mère inscrivit le nom de mon père, de sa femme et de ma petite sœur juste en dessous des nôtres. Je pensai : Au moins cela aura servi à cela ».
Entre temps, Sophie est devenue adulte. « Je devins mère pour la première fois à vingt-cinq ans, l’âge auquel elle avait perdu Christian ». Sa grand-mère note dans ses carnets son bonheur : « quand je pense que j’ai la chance de voir la fille de ma petite fille, de pouvoir la prendre dans mes bras ». Ou encore : « le nouveau né a disparu et c’est maintenant un petit bébé. Elle est ravissante, ses paupières sont nacrées, elle a de longs cils ». Et la petite Lou grandit à son tour. Elle porte le bracelet que lui a offert son arrière-grand-mère, « j’y tiens beaucoup, tu sais », dit-elle.
Les souvenirs reviennent en boucle et Sophie pense toujours à celle qui vient de mourir. « Je ne lui écris plus. Mais je continue à lui parler parfois, tout haut ».
« Il y avait une jeune fille amoureuse à la fin de la guerre en Auvergne. Il y avait une femme dévastée, mère seule, triste et dépassée. Il y avait une grand-mère parfaite, active et disponible. (…) Toutes se fondent en une désormais. Et ce fil qui, en moi, continue à se dérouler ».
Des mots simples. Et un court texte bouleversant qui, souvent, vous prend à la gorge. Le fil à couper le souffle.
En lisant Le fil de Sophie Lemp, on retrouve le bruit de la source et le parfum du tilleul. Et on songe à sa grand-mère qui aurait été tellement fière de sa petite fille !
Fabrice del Dingo
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