Le Feuilleton, Julien Carré, Jean-Louis Rambour (par Murielle Compère-Demarcy)
Le Feuilleton, Julien Carré, Jean-Louis Rambour, éditions La Salamandre, 468 pages

L’ambition du travail de Julien Carré est, d’entrée, explicite : dans une lettre manuscrite adressée à l’éditeur il annonce, en effet, vouloir entreprendre « de mettre en mots le respect qu’il a de (l’)œuvre » de son pair, ancien professeur, Jean-Louis Rambour. Il s’agit pour l’élève-écrivain de se glisser dans l’univers de l’œuvre, de l’investir et d’y inscrire, par-ci par-là, un autre texte. « Jean-Louis a bâti une œuvre et dans cette œuvre je me retrouve », affirme Julien Carré qui s’y retrouve, tout au long de ce livre copieux (pas moins de 468 pages) intitulé Le Feuilleton, en écrivant son propre texte sur le manuscrit-palimpseste de la Littérature, à partir d’une réécriture du texte original de son inspirateur.
(…) Tu grattes les écrits de Jean-Louis Rambour comme un parchemin déjà utilisé, et tu inscris un autre texte. Tu effaces avec de la ponce pour t’offrir un espace où coller tes mots (…).
L’originalité de cet ouvrage est de proposer à la fois – sous la forme littéraire de récits, de proses narratives, de performances d’écriture, d’épisodes romanesques, de notes critiques autour de la lecture ou de l’actualité/de l’Histoire littéraire… – une adaptation littéraire personnelle d’un Texte original, mais aussi, sous forme épistolaire, de rendre publics des échanges entre « l’inspiré » et « l’inspirant ». Jean-Louis Rambour est ici un déclencheur d’écriture. Une mise en abyme de l’entreprise et de l’acte d’écrire se déroule sous nos yeux (nous savons qu’en matière de créativité, la table rase (tabula rasa) n’existe pas, à moins de nourrir l’illusion narcissique d’être et de proposer une Voix en réalité vide, dépourvue d’envergure). La mise en perspective est effectivement, avec le travail de tailleur (de coupe/découpe/couture) induit, une dimension inhérente à la mise en œuvre créatrice et créative. La copie de l’œuvre originale, concomitante de son réinvestissement en vue de créer une œuvre digne de ce nom, nous offre ici – avec les reproductions photographiques en couleur et déclinées comme un album souvenir, qui parsèment le livre – un résultat aussi puissant et pertinent que celui des copies de toiles de Maîtres qui permettaient aux artistes-peintres novices de s’entraîner aux techniques picturales et de perfectionner leur art, mais aussi offre au lecteur le plaisir d’être conquis. Mais, et ce bémol est notoire, l’entreprise de Julien Carré permet en outre de revisiter et d’éclairer encore l’œuvre protéiforme et expérimentale rambourienne. Car l’écriture de Jean-Louis Rambour, aussi gouleyante qu’un vin partagé (tel le « gros rouge transmuté en vin céleste, ambroisie du sourire ») n’en a pas fini d’ouvrir les tiroirs de la créativité scripturale, et ne cesse de nous en faire voir de tous les genres, inspirée par un quotidien étonnant-pluriel-insoupçonné dont « le poète du réel » (Jean-Louis Rambour, intarissable écrivain-poète) soulève les voiles pour nos yeux insuffisants. Offrant au Lecteur ce gain inestimable, non négociable, non « bankable » (Julien Carré) : Il n’a rien à y perdre que ses chaînes : il a bel et bien tout un monde à y gagner.
NB : Le tome 1 du Feuilleton recensé ici a été suivi de quatre tomes de même taille, à savoir près de 2500 pages (soit 200 épisodes) alignées.
Murielle Compère-Demarcy
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