Le feu d'Orphée, Patryck Froissart (par Murielle Compère-Demarcy)
Le feu d’Orphée
Ecrivain(s): Patryck Froissart Edition: Ipagination
Le genre de ce livre dense de l’écrivain Patryck Froissart (romancier, nouvelliste, poète et chroniqueur littéraire) n’est pas commun, puisqu’il nous transporte avec Le feu d’Orphée dans l’univers du conte poétique. Le thème est décliné sous diverses formes (textes poétiques, récits prosaïques, contes fantastiques) jalonnant le combat d’Orphée contre le dieu solaire ravisseur de son Eurydice. La quête orphique résonne en chacune de nos existences, qu’elles soient vouées à l’adoration, à la passion amoureuse, ou à la recherche permanente d’un idéal marquant de son sceau nos mythologies personnelles et que l’on retrouve avec force et échos symboliques dans le voyage hallucinant de ce « personnage que dynamisent, paradoxalement, le rapt et l’intermittence de l’aimée… ». Reflet emblématique du désir essentiel vrillé à l’existence des hommes, ardentes/vaillantes sentinelles brûlant de se sentir vivre, Orphée capte et captive notre attention, notre regard, notre quête existentielle engagée dans cette attirance/répulsion vis-à-vis du dieu solaire, figure paradoxale du feu dont l’immanence et la transcendance nous élèvent et nous font trébucher autour de son foyer ardent dans l’espoir fou d’en approcher toujours davantage la flamme.
La puissance de ce conte poétique de Patryck Froissart réside dans l’originalité du traitement qu’il propose du personnage mythique/symbolique d’Orphée : via une exploration des cultures les plus diverses ; via une alternance de textes poétiques et en prose, étayée par « une construction minutieuse (…) faite de continuité et de ruptures » (Préface d’Issa Asgarally), offrant un mode de lectures simultanées ; via l’intertextualité (Paul et Virginie, Robinson Crusoé, Samarcande, Candide, Les Contes de Mille et une Nuits) qui irrigue ce « feu d’Orphée ». Le thème du « feu d’Orphée » se métamorphose au fil des pages en un embrasement obsédant, brûlant de son incandescence la courbe asymptotique du manque/du désir.
« Pour que la fleur ne meure, /il faut nourrir l’épine », lit-on entre les citations en exergue et la Préface: nous entrons dans la sphère du feu du désir paradoxal, entre la dévoration des flammes et l’inflorescence de leur ferveur, nous tenant dans cet entre-deux du souffle qui appelle l’air/la lumière en même temps qu’il approche autant qu’il fuit son manque pour sentir ardemment son cœur s’élever/brûler.
L’Introduction annonce la démarche de ce conte poétique, nous prépare au voyage orphique :
« La liste des mythiques rapts amoureux (…) est infinie.
L’héroïne y est parfois représentée comme initialement ou finalement consentante.
Le conte qui déroule ses épisodes tout au long de ce livre a pour fil narratif l’enlèvement consenti, mille et une fois renouvelé, et pour fondement thématique le mythe platonicien de l’androgyne, que rapporte Aristophane dans Le Banquet.
Le héros, poète narrateur, est régulièrement abandonné par l’héroïne convoitée par le dieu jaloux des
cieux et des mers.
Il poursuit éperdument le fantasme de son idole à chacune de ses assomptions ou de ses éclipses océanes, par monts, par vaux, par airs, par mers, dans une odyssée lyrique traversée de part en part par la résurgence des mythes les plus connus et par l’intertextualité des plus grandes œuvres romanesques…
Que dire de la forme ?
Versification plus ou moins proche de la prosodie classique française, vers livres, prose poétique, poésie poétique…
Chaque « fragment narratif » a la composition qui m’a paru la plus propre à produire l’expressivité recherchée, mais chacun concourt également au récit, chacun fait épisode, chacun est constitutif de l’histoire. »
Inaltéré, désaltérant ou coruscant, l’amour enflamme l’« aventure astrale » chantée « au-delà de la limite exiguë de ce monde » « détruit par la belliqueuse humanité ». L’amour demeure, éclairant au pays de ses ombres, au point d’arcane où l’arc-en-ciel disparaît au moment même où nous croyions le toucher, éternelle offrande où ne cesse de se risquer notre « être morcelé » avide d’aimer, de retrouver l’idéal(e) dans la tension lyrique de son absence. « Comment peut-on jouir de l’union / sans redouter sa consomption », écrit Patryck Froissart dans le poème À cœur vaillant.
Le ravissement provoqué par l’amour brûle du « feu d’Orphée » les pages de ce conte poétique où le narrateur en archer fait jaillir de son arc flambant les sagettes/les vibrations en mots du dieu solaire qui habite et anime « l’ample pulsation de nos cœurs éployés » /amoureux.
Murielle Compère-Demarcy
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