Le don du roi, Rose Tremain
Le Don du Roi (Restoration), traduit de l’anglais par Gérard Clémence, juin 2013, 430 p. 22 €
Ecrivain(s): Rose Tremain Edition: Jean-Claude Lattès
Grandeur et décadence…
Après avoir été contraint à l’exil cependant que l’Angleterre était gouvernée par le républicain Cromwell, Charles II monte sur le trône en 1660. C’est la Restauration (d’où le titre anglais du roman), époque de plaisirs en tous genres à la Cour anglaise.
De passage chez son gantier Merivel, Charles remarque le fils du modeste artisan, Robert, qui veut devenir chirurgien.
Quelques années plus tard, Robert est admis dans le cercle des « amis » du roi et, devenu l’un de ses bouffons, partage la vie insouciante du palais, jusqu’au jour où le monarque, contraint de mettre de l’ordre dans le partage de ses nuits entre ses multiples maîtresses, le marie, après l’avoir anobli, avec l’une de ses favorites, Celia, qu’il veut éloigner provisoirement de la Cour. Le couple reçoit dans sa corbeille de noces la belle propriété de Bidnold, dans le Norfolk, dont il doit faire sa résidence officielle.
Il s’agit évidemment d’un mariage blanc. Robert ne voit quasiment jamais « son épouse », que le Roi garde à sa portée dans un lieu secret de la banlieue londonienne. Le fait même de tomber amoureux de Celia serait pour Robert se rendre coupable du crime de lèse-majesté.
L’interdit, c’est connu, engendre et attise la convoitise…
Et ce que le Roi donne, le Roi peut le reprendre.
« Il me reprenait Bidnold. Il en reprenait possession, tout comme il avait repris possession de Celia. Car, comme Celia, le domaine ne m’appartenait point. Tout ce que je possédais m’était venu de lui et maintenant il le reprenait ».
La relation de Mérivel avec le Roi oscille entre grâce, disgrâce et retours en grâce toujours précaires et aléatoires, sur la toile de fond d’événements bien connus, souvent repris dans les romans historiques, de cette période tragique de l’histoire anglaise marquée par la Grande Peste en 1665 et par l’incendie de Londres en 1666.
Quand le Roi lui reprend son amitié, son titre de noblesse, et la totalité de ses revenus, Mérivel se tourne vers son ami d’enfance, Pearce, qui se consacre, tout en ayant fait vœu de pauvreté, à l’accueil et au traitement des fous dans l’asile hospitalier qu’il a fondé et qu’il dirige dans un trou boueux et bouseux de la campagne anglaise.
En un roman émouvant au cours de quoi Mérivel passe de l’opulence au dénuement, des sommets aux bas-fonds, de l’orgueil à l’humilité, de l’oisiveté au sacerdoce, de la vie faite de jouissances égoïstes d’une caste de privilégiés au quotidien généreux et altruiste de l’homme simple vouant son temps et son savoir à assister les plus misérables, le destin de Mérivel révèle le dessein de l’auteur, que le lecteur peut traduire en un certain nombre de « leçons » :
Leçon politique : les lendemains sont toujours incertains pour l’individu assujetti à un système où règne l’arbitraire absolu du despotisme.
Leçon philosophique : vanité des vanités, tout est vanité !
Leçon morale : donner satisfait plus que recevoir.
Leçon d’histoire : l’auteur, en brossant le quotidien de ses personnages, opère une reconstitution érudite des mœurs, des us et des coutumes et, en arrière-plan, du contexte historique de l’Angleterre du 17ème siècle après la courte parenthèse républicaine.
Leçon de science humaine : les traitements contre la folie qu’expérimente Mérivel dans l’institut de son ami annoncent la psychanalyse moderne.
Leçon sentimentale : l’amour peut mener au dérèglement des mœurs, aux actes criminels ou à la folie tout autant qu’à la réinsertion sociale et morale ou à la guérison de l’âme.
A cette richesse contextuelle et intratextuelle s’ajoute un art du récit, de la péripétie, du rebondissement qui fait de cette œuvre un roman qu’on ne lâche pas, une fois qu’on l’a ouvert, avant la dernière ligne de sa dernière page.
Patryck Froissart
- Vu : 3664