Le Dieu cerf, Philippe Le Guillou (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Le Dieu cerf, Philippe Le Guillou, novembre 2019, ill. Loïc Le Groumellec, 104 pages, 18 €
Edition: Fata Morgana
Philippe Le Guillou se fait scribe de ce fragment d’une légende (presque) dorée. Et l’auteur de préciser : « récitant d’une geste dont je module, à mon tour, les accents et les échos, je ressens pleinement ce passage de l’orée, cet état de panique joyeuse que m’a toujours inspiré la seule profération du mot “lisière” ». Dès lors l’auteur invente la psychologie de son héros. Il vit à l’épreuve de celle-ci. Et habitant son personnage de l’intérieur, il l’imagine « rempli de cette frayeur religieuse qui gagne les nomades sacrés et les pérégrins… ».
Néanmoins l’auteur ne se laisse pas envahir totalement par ce sombre héros proche d’un lointain : « mon personnage appartient à l’Antiquité, c’est un vir que ne tourmentent ni la peur physique ni la fragilité si féminine, c’est un homme accompli, dans la splendeur de sa force, un guerrier, un chasseur ». Celui-ci troue l’éternité. Il montrerait facilement à l’assassin le chemin, et laisse au besoin monter la voix de l’animal. Il sait repérer au sol une trace même lorsque des ogres brouillent les cartes et des prélats moulinent leurs orgues à prières.
De retour de ses quêtes, parions qu’un parlement de pucelles célébrait les charmes de ce personnage plus inquiétant qu’il n’y paraît. Désormais les mots du Breton habillent son cadavre, sa fougue anime son esprit. Tout cela donne un air de fête même si une pluie en écarte le feu. Restera l’étrangeté qui sépare le monde des morts et celui des vivants.
De fait, l’auteur retrouve et cherche une vision globalisante en adaptant une « climatologie » oubliée. Analysant les signes tirés de ses « voyages » dans le temps, il recrée des espèces animales et humaines par courants concentriques. Contre les myopies, Le Guillou impose une cosmogonie transhistorique.
Fouillant mais ne confondant rien, il ne cherche pas des fusions improbables. l’œuvre est donc une pensée, un « rouage » qui remonte à l’antiquité. Le héros n’hésite pas à faire couler le sang à l’orée d’une forêt, lieu du sacrifice et d’aventure d’un tel officiant primitif. C’est pourquoi et en lisant ce livre, des dieux on peut redouter le tonnerre. Il ne faut pas les éveiller. C’est pour cela que le chasseur a toujours marché en silence. Même si dans ce silence il n’existe nulle soumission de femme dont on mutile l’urne qu’on croît en flamme. Cette recomposition permet de replonger au fond même de l’expérience primitive de la force. Le corps est saisi de la violence de la nature. Mais cette frondaison forestière n’a rien de confuse, tout est net et précis. Il y a là une déambulation et une errance reprises, analysées et surtout métamorphosées où s’ouvrent en filigrane le souffle et le cri.
Jean-Paul Gavard-Perret
Né en 1959, Philippe Le Guillou est un écrivain et critique littéraire français. Il a publié plusieurs volumes chez Gallimard. Les Sept Noms du peintre obtient en 1997 le Prix Médicis.
VL3
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