Le diamant gros comme le Ritz, Francis Scott Fitzgerald (par Catherine Dutigny)
Le diamant gros comme le Ritz, traduit de l’anglais (États-Unis) par Véronique Béghain, janvier 2020, 96 pages, 2,00 euros
Edition: Folio (Gallimard)Cette novella, écrite en 1922 par F. Scott Fitzgerald pendant qu’il séjournait avec sa femme Zelda à l’Eden-Roc sur la riviera française, fait partie de toutes ces nouvelles (on en dénombre environ 160) qui permirent à l’auteur de se faire connaître comme écrivain en Amérique et en Europe et surtout de gagner sa vie, car si l’on excepte son premier roman L’Envers du Paradis qui connut dès sa publication en 1920 un franc succès, ses écrits aujourd’hui incontournables comme Tendre est la nuit, ou Gatsby le magnifique, mirent un certain temps à trouver leur public et à lui rapporter de substantiels droits d’auteur.
Déjà traduite en français et publiée dans le recueil les Contes de l’âge du jazz, cette réédition dans la collection Folio 2 euros met la lumière sur une nouvelle de Fitzgerald riche en thèmes favoris et récurrents dans l’œuvre de l’écrivain, largement fournie en allégories religieuses et en références mythologiques. Autre spécificité, il s’agit d’un texte que l’on peut classer, ce qui n’est pas si courant chez l’auteur, dans le genre fantastique, au même titre que L’étrange histoire de Benjamin Button, adapté au cinéma en 2008 par David Fincher.
On reconnaît sous les traits du héros, John T. Unger, le jeune F. Scott Fitzgerald, lui-même issu d’un milieu modeste mais qui suite à l’héritage de sa mère put fréquenter les meilleurs établissements scolaires et universitaires. Ainsi John T. Unger, après avoir quitté sa ville natale dans le Mississipi, intègre la très huppée, la très chère et la très sélective école St Midas (!) près de Boston. En seconde année, il est invité par Percy Washington, un camarade d’école, à passer l’été dans sa maison « dans l’Ouest ». À partir de ce moment le récit bascule dans le fantastique, puisque le voyage les conduit dans une partie des Etats-Unis totalement inconnue des géographes, dans un château, propriété du père de Percy, Braddock Tarleton Washington, descendant direct de George Washington et de Lord Baltimore, bâti sur une montagne constituée d’un seul et gigantesque bloc de diamant.
Dans cet univers caché du reste du monde règne la richesse la plus outrancière et pour la conserver secrète, le maître des lieux y emprisonne, ou élimine par le meurtre quiconque s’y serait introduit sans y être invité ou aurait pris connaissance de son existence. L’intérêt personnel autorise et valide les comportements les plus extrêmes. Une hybris mortifère. Mais, ironie du sort, cette même richesse emprisonne à son tour ceux et celles qui pensent en profiter, en les aliénant, en les rendant plus esclaves d’un secret à préserver à tout prix que ne le sont leurs propres serviteurs noirs. Fitzgerald poursuit avec des fulgurances sarcastiques sa métaphore d’une Amérique obsédée par une quête insatiable de richesses, d’une Amérique qui se détourne de la religion (dans la nouvelle Braddock Washington tente en vain, et ce en dépit de son immense fortune, de soudoyer Dieu) pour mieux adorer l’argent et œuvrer sans le moindre respect des valeurs humaines les plus élémentaires, d’une Amérique qui asservit l’autre ou le manipule pour mieux imposer sa suprématie.
La jeunesse, la beauté et le sentiment amoureux, autres thèmes chers à l’auteur, sont traités sur un ton de franche désillusion, où le héros les considère comme des valeurs ne durant qu’un temps fort limité, des « brumes » qui déforment la réalité et plongent les humains dans un doux rêve trompeur, une « forme de folie chimique », source inévitable de cruelles déceptions. Quant à la supposée innocence de la jeunesse, incarnée par Kismine, sœur de Percy, et dont John tombe amoureux, elle ressemble fort à la plus profonde sottise ainsi qu’en témoigne la déclaration qu’elle lui adresse au moment où elle réalise qu’elle n’a d’autre solution pour vivre avec l’élu de son cœur que de quitter sa prison dorée : « Nous serons pauvres, n’est-ce pas ? Comme les gens dans les livres. Et je serai orpheline et absolument libre. Libre et pauvre ! Comme se sera amusant ! » p.70
Une désillusion profonde et une ambigüité quasi névrotique propre au tempérament de l’auteur et donc par extension propre à son double littéraire, qui partagé entre son attirance pour un Eden de diamant et l’horreur que lui inspirent les turpitudes commises pour se l’approprier et le conserver ne peut envisager qu’un retour à la réalité sans saveur, une vie de peu d’intérêt dans la bourgade dont il est originaire et qui se nomme, dans la toponymie savoureuse qui baigne l’ensemble de la nouvelle, « Hadès », donc l’Enfer.
Catherine Dutigny
VL4
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À propos de l’écrivain : F. Scott Fitzgerald
Francis Scott Key Fitzgerald, né le 24 septembre 1896 à Saint Paul, Minnesota et mort le 21 décembre 1940 à Hollywood est un écrivain américain. Chef de file de la Génération perdue et représentant de l’Ère du Jazz, il est aussi celui qui lance la carrière d'Ernest Hemingway. Il se marie en 1920 avec Zelda Sayre, une jeune fille du Sud qui sera son égérie. Son œuvre est profondément marquée par sa liaison passionnée avec Zelda (de l'amour idéalisé de "Gatsby" à la déchéance du couple dans "Tendre est la nuit").
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