Le Désir de voir, Laurent Jenny (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Le Désir de voir, Laurent Jenny, août 2020, 168 pages, 20 €
Edition: L'Atelier Contemporain
Des mots aux images – et retour
Laurent Jenny enseigne à l’université de Genève. Il a publié de nombreux travaux sur l’esthétique et l’idéologie littéraires. Dans Le Désir de voir, il glisse vers une forme d’autobiographie (ciblée) en remontant l’histoire de son initiation progressive au regard pictural et photographique. Surgissent les étapes de cette métamorphose. Voir dans le noir, L’instant de voir, Voir en rêve, et Manières de voir, segmentent l’exploration de plusieurs modes de vision, au croisement d’expériences personnelles, d’expérimentations artistiques, de lectures et de « regards ».
Les mots mettent progressivement le feu aux poudres des images. Et tout commence à l’ombre de Michaux et ses peintures-idéogrammes, puis avec et entre autres les œuvres d’Alexandre Hollan et ses dessins d’arbres, les encres de Joan Barbarà, les monotypes de Degas, l’Outrenoir de Pierre Soulages, et des « photographies » d’Oscar Muñoz.
Avouant au départ son état d’étranger au monde des images, l’auteur montre comment de l’écriture le langage devient sinon celui de l’image mais de ce qu’elle produit sur le premier lorsqu’un regard consciencieux et une parole consciente des limites de son pouvoir se mêlent : « Écoute-voir » dit le langage familier. « Regarde-dire » me semble aussi un bon chemin. Essayons, précise l’auteur et le lecteur le suit. Comme Jenny et en sa compagnie il plongera dans le visible. Qu’importe si pour l’auteur ce fut tard – « Comme si des écailles m’avaient longuement pesé sur les yeux » écrit-il. Car dès l’enfance – et c’est encore plus vrai aujourd’hui – il y eut « Trop d’imaginaire, pas assez de vision, l’un toujours superposé à l’autre, l’oblitérant dans la contemplation des images » ajoute l’auteur, trop occupé et trop longtemps « par un écran de mots ». Et il faut du temps pour remonter à « L’instant de voir » et ses corollaires. Laurent Jenny s’oblige à avouer ses propres réflexes parasites puis ses émerveillements. Il s’ose à proposer ses propres photographies d’amateur dans les mêmes pages que des œuvres des maîtres non par forfanterie mais pour prouver combien, au fil du temps, son regard a changé non seulement par les mots mais les images.
Jean-Paul Gavard-Perret
- Vu : 1824