Le dernier voyage, Le Docteur Korczak et ses enfants, Irène Cohen-Janca
Le dernier voyage, Le Docteur Korczak et ses enfants, éd. Les éléphants, septembre 2015, illustrations Maurizio A.C. Quarello, 60 pages, 18 €
Ecrivain(s): Irène Cohen-Janca
Une belle découverte que nous propose la jeune maison d’édition Les éléphants : un album, aux couleurs sépia le plus souvent, qui évoque avec délicatesse, simplicité et tact la figure paternelle et charismatique du docteur Korczak ; un album qui parle avec justesse de ces enfants du ghetto de Varsovie disparus dans la tourmente nazie.
Le livre s’ouvre sur une double-page au fusain qui résume le récit : un vieil homme à l’allure décidée, qui, les bras ouverts, protège de jeunes enfants au regard noyé. L’homme est nu-tête, désarmé, et semble n’avoir à offrir que sa bonté et sa fermeté. Cet homme, c’est le docteur Korczak, Pan Doktor, un homme célèbre, un pédagogue dont les méthodes éducatives ont inspiré la rédaction de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.
« C’est un grand médecin, un savant, un écrivain. Il a soigné les gens les plus riches et les plus puissants, il a donné des conférences dans le monde entier, il a écrit beaucoup de livres pour les grands et les petits, et même autrefois il parlait à la radio ».
Il est celui qui recueille, aime et instruit les orphelins et les pauvres de Varsovie. Il est celui qui a suivi, le 29 novembre 1940, ses « enfants » vers un autre lieu. Un lieu de « l’autre côté », un lieu si près et si loin, un lieu tout gris, que le « Chat Botté rejoindrait d’une enjambée ».
Au fur et à mesure que le convoi d’orphelins s’approche du cœur du ghetto, au fil des feuilles qui se tournent, le sépia s’assombrit, l’obscurité envahit la page, et nous nous retrouvons dans « un pays-prison, créé par les nazis pour y enfermer les Juifs. Tous les Juifs, les vieux, les adultes et les enfants comme nous. Un pays minuscule pour des milliers de gens qui n’ont plus de travail, plus de meubles, plus de pain ni de charbon ».
Comment ne pas admirer la droiture de ce héros ordinaire, qui à l’instar de Georg Elser, n’hésite pas à se rendre à la Gestapo pour plaider la cause des enfants, à se « jeter dans la gueule du loup. Quelle fée pourra l’arracher à cette maison du diable, quel sorcier lui faire traverser les murs de la maison de la peur et des coups ? ».
N’osant imaginer que l’on puisse consciemment vouloir la mort d’enfants, lui qui croyait que le mot « respect » avait encore un sens en ces temps perdus.
Cet album, illuminé par des illustrations délicates et jamais obscènes, est empreint de poésie et le tragique de cette extermination, voulue par la machine implacable de l’autorité nazie, se fond dans ces simples mots :
« Mietek ne verra jamais un poulain se lever sur ses pattes fragiles ni ne connaîtra l’eau fraîche des rivières et le saut joyeux des écureuils dans les branches.
Les Allemands ne veulent pas que les enfants juifs grandissent ».
Le livre se clôt sur une double-page aux couleurs joyeuses, une cavalcade d’enfants qui entourent pan Doktor, qui se donnent la main, semblant marcher vers l’avenir ; c’est l’image de la marche de 192 enfants et 10 grandes personnes, le 5 août 1942, vers Treblinka.
A partir de 10 ans, accompagné d’un parent.
Laetitia Steinbach
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