Le Dernier cerisier, John Taylor (par Didier Ayres)
Le Dernier cerisier, John Taylor, éditions Voix d’encre, mars 2019, ill. Caroline François-Rubino, trad. Françoise Daviet-Taylor, 88 pages, 19 €
L’arbre
Le Dernier cerisier de John Taylor présente divers intérêts. D’une part, parce que ces poèmes courts – et en un sens de nature orientale, dans la mesure où l’art japonais par exemple ne travaille pas sur le motif, mais le réinvente à partir d’une observation préalable – ont cette qualité de simplicité d’expression, celle d’une littérature dense et légère. Du reste, que ce livre s’accompagne d’aquarelles – qui m’ont laissé l’impression de fluidité, avec parfois la rudesse de traits charbonneux – n’est pas indifférent à la relation que j’ai eue au poème. Ce recueil est à la fois gazeux, éthéré et paradoxalement tendu par des images obsessionnelles : celles d’un arbre. Un cerisier qui se décrit et se déconstruit comme dans le très fameux travail autour de l’arbre de Piet Mondrian, lequel est passé d’un pommier, à des formes régulières de carrés de couleurs primaires.
Cela dit, il faut parler de plus près de la structure du texte. Il est écrit sans ponctuation, ce qui engage physiquement sur le terrain de la fluidité, si je puis dire. La transparence de l’expression s’en trouve renforcée. Ensuite, le texte ne comporte pas de majuscule, ce qui pour moi signifie que les termes du poème sont à égalité, comme il n’y a pas d’ombres portées sur les estampes japonaises, où tout est traité en aplat, sans relief. Et pour finir, le livre n’est pas ponctué. On flotte comme en une danse, et on respire au gré des poèmes. Est-ce l’illustration de la danse, forme de la pensée chez Nietzsche ?
non pas de la matière
mais nos vies
montent
doivent descendre
un filet d’eau par terre
ou parmi les pierres
ou est-ce de l’eau de pluie
s’égouttant sur d’anciens chemins
pour nourrir le cerisier
que tu imagines tout en bas de la pente
à la fin
et au commencement
où que tu sois
est ton pays natal
Et que cela soit le temps qui passe, ou l’attrait pour l’hiver et son dépouillement, tout tourne autour de ce cerisier, cet arbre totem, qui correspond sans doute aux cultures totémiques des peuples natifs d’Amérique du Nord. Au reste, j’ai pensé aussi à cet arbre foudroyé que le peintre hongrois Alexandre Hollan ne cesse de représenter. Il est aussi intéressant de savoir que Yves Bonnefoy a manifesté de l’intérêt pour cette obsession du chêne foudroyé du jardin du peintre. On peut aussi rapporter cette beauté végétale, du travail photographique de Frank Horvat, qui a consacré une part de sa vie de créateur à chercher des arbres et des points de vue originaux très simples d’apparence, mais très chargés, très intenses.
Revenons à notre livre et citons un peu quelques lignes, susceptibles de faire comprendre mon propos :
laisse le cerisier s’effacer
laisse la terre s’effacer
sur laquelle tu as marché
alourdi de noms
de pelouses de jardins secrets
que tu as laissés derrière toi
et d’un cerisier
tu as été alourdi
mais l’échelle sous ton bras
ne pesait rien
Il faut bien entendu poursuivre la lecture au-delà du cerisier, ou tout au moins vers la deuxième partie de l’ouvrage, et qui sait ? vers d’autres livres du poète américain qui a choisi de vivre en France depuis 1977.
Didier Ayres
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