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Le Cycle d’Oz, Lyman Frank Baum (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon 10.03.21 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, USA, Le Cherche-Midi

Le Cycle d’Oz, Lyman Frank Baum, Le Cherche-Midi, 2013/2015, trad. Blandine Longre, Anne-Sylvie Homassel, 1340 pages (3 volumes), 58 €

Edition: Le Cherche-Midi

Le Cycle d’Oz, Lyman Frank Baum (par François Baillon)

 

Entre 2013 et 2015, Le Cherche-Midi a pris l’initiative de publier les œuvres de L. Frank Baum autour du pays d’Oz, classiques éminents aux Etats-Unis : on retrouve ainsi dans ce Cycle les six premiers romans de la série. Jusqu’en 2013, seules les trois premières œuvres avaient fait l’objet de traductions intégrales en français, celles-ci étant parues chez Flammarion (Bibliothèque du Chat Perché) entre 1979 et 1982 – ce qui, soulignons-le, se révèle extraordinairement tardif quand on sait que Le Magicien d’Oz, premier roman de la série, fut publié pour la première fois en 1900 avec un grand succès. Soit dit en passant, tout le monde connaît l’histoire de ce roman, l’œuvre originale étant souvent éclipsée par l’adaptation cinématographique qu’en fit Victor Fleming en 1939.

Ce Cycle d’Oz, outre l’imparable classique cité plus haut, réunit Le Merveilleux Pays d’Oz (1904), Ozma du pays d’Oz (1907), Dorothy et le Magicien au pays d’Oz (1908), La Route d’Oz (1909), et La Cité d’Emeraude (1910) : grâce aux traductions de Blandine Longre et d’Anne-Sylvie Homassel, il nous est donné accès à l’incroyable richesse imaginative de L. Frank Baum.

De prime abord, et sans contestation véritable possible, la naïveté tendre et la nature merveilleuse des aventures de Dorothy et de ses compagnons ne peuvent que s’adresser aux enfants. La qualité de ces aventures, qui tiennent la route, réside dans l’alliance d’une inventivité surprenante et d’une grande modernité, citons pour exemple le personnage de l’Homme-Machine garanti mille ans, capable de penser, de parler et de se mouvoir (Ozma du pays d’Oz). Ce qui semblait utopique au début du vingtième siècle l’est un peu moins à notre époque. On peut également s’étonner devant la Cité de Verre (Dorothy et le Magicien au pays d’Oz), habilement mise en valeur par l’illustrateur, Stéphane Levallois, dans un hommage évident à Metropolis : au sein de cette cité, illuminée par un ensemble de soleils colorés, la gravité que nous connaissons n’est plus. Nous ne sommes qu’en 1908, et l’on pressent là l’idée de la science-fiction – certes initiée des années plus tôt, mais qui ne fera que s’amplifier. Si La Route d’Oz semble parfois pâtir d’un léger manque d’inspiration, d’un côté trop enfantin peut-être, voire de longueurs, le talent de L. Frank Baum se situe bien dans cet imaginaire renouvelé, qui sait provoquer la surprise du lecteur.

Plusieurs chercheurs se sont intéressés à l’aspect politique dans les livres du pays d’Oz (bien que leur auteur se soit toujours déclaré apolitique). A maints égards, on peut pourtant y déceler une réflexion sur le phénomène d’illusion dans une société, et plus précisément, sur la déception qu’a provoquée en L. Frank Baum son propre pays : notons qu’au moment de la publication du Magicien d’Oz, Baum a quarante-quatre ans et a déjà connu de nombreux échecs. Il a pu se remettre de ses déboires grâce à l’aide de son père : après la mort de ce dernier, il descend dans l’échelle sociale. Pourtant, comme pour ses romans, il ne manque ni d’ingéniosité ni d’idées pour mener ses propres affaires (il ira jusqu’à créer sa société de production de films dans les années 1910) : mais l’échec semble le poursuivre, et c’est finalement dans l’écriture de contes de fées, au parfum neuf et américanisé, qu’il récoltera ses vraies réussites.

La figure du Magicien d’Oz est d’abord celle d’une puissance tutélaire, qui règne avec autorité sur tout le pays d’Oz, figure d’autant plus mystérieuse et intimidante qu’elle est enfermée dans la splendide Cité d’Emeraude (construite sous les ordres du magicien lui-même) et qu’elle n’est jamais visible. Lorsque le personnage est cependant démasqué, c’est le visage de l’Américain moyen qui apparaît sous nos yeux, homme sympathique et prestidigitateur de pacotille, incapable de réaliser le vœu de Dorothy. L’Amérique personnifiée, peut-être : le rêve américain n’est qu’une illusion.

Mais le plus significatif réside dans La Cité d’Emeraude, volume avec lequel l’auteur voulait clore sa série (ce qu’il souhaitait déjà auparavant, mais des ennuis financiers l’inciteront, au contraire de ses attentes, à écrire huit autres livres sur Oz). Dorothy, sa tante Em et son oncle Henry, qui connaissent une misère interminable et qui ne parviennent pas à régler leurs problèmes d’argent, quittent définitivement le Kansas pour s’établir au pays d’Oz. Parallèlement, ce même roman met en jeu le risque d’une destruction massive du pays féerique, organisée par des groupes d’individus tels que l’espoir semble impossible, en plus du risque d’un esclavage permanent de ses habitants. La victoire est néanmoins obtenue in extremis, et à la suite de ces événements, Ozma la souveraine décide de rendre son pays et ses résidents invisibles : ainsi, la paix et l’harmonie, pour être préservées, ne peuvent qu’être rendues indétectables. Le lecteur demeure avec la grisaille hostile, sèche et vide du Kansas, image d’une déception qui ne se digère pas. La fin du Cycle d’Oz, malgré cette traversée de l’extraordinaire, se teinte d’une étonnante et profonde mélancolie – peut-on dire de désespoir ?

Il est à souligner le travail remarquable et riche de Stéphane Levallois, l’illustrateur, qui a su servir avec un grand talent la modernité et la poésie de ces livres.

Le Cherche-Midi avait annoncé en 2013 la publication intégrale des quatorze volumes écrits par L. Frank Baum sur Oz : ce projet éditorial semble s’être arrêté en 2015, après le troisième tome. Au risque d’en déduire que les ventes ont pu se révéler trop peu satisfaisantes, ces six romans, portés par une véritable conclusion, offrent probablement une vision essentielle de l’œuvre de cet éternel enfant qu’était Lyman Frank Baum.

 

François Baillon

 

Lyman Frank Baum (1856-1919) fut comédien, dramaturge, journaliste et commerçant, entre autres. Il est surtout l’auteur de nombreux romans destinés à la jeunesse, dits de fantasy, ainsi que de poèmes. Son plus grand succès, The Wonderful Wizard of Oz (1900), est un classique mondial de la littérature enfantine.

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A propos du rédacteur

François Baillon

 

Diplômé en Lettres Modernes à la Sorbonne et ancien élève du Cours Florent, François Baillon a contribué à la revue de littérature Les Cahiers de la rue Ventura, entre 2010 et 2018, où certains de ses poèmes et proses poétiques ont paru. On retrouve également ses textes dans des revues comme Le Capital des Mots, ou Délits d’encre. En 2017, il publie le recueil poétique 17ème Arr. aux Editions Le Coudrier.