Le couvre-feu d'octobre, Lancelot Hamelin
Le couvre-feu d’octobre, 30 août 2012, 386 p. 21,50 €
Ecrivain(s): Lancelot Hamelin Edition: L'Arpenteur (Gallimard)C’est un premier roman, et il faut signer ce prime aveu : c’est largement réussi.
Trois personnages, Octavio, son frère aîné, jamais nommé dans le texte du roman, et Judith, tous trois originaires d’Oran, occupent l’intrigue. Octavio, durant sa jeunesse oranaise, a nourri une profonde passion pour Judith, fasciné par les origines juives de cette dernière, l’assimilant, dans sa condition, aux indigènes, aux Algériens musulmans. Pourtant, c’est son frère aîné qui épouse Judith.
Octavio se rend en France en 1955 pour y poursuivre des études universitaires. Deux ans plus tard en 1957, le couple s’installe aussi en métropole.
Octavio rencontre alors, dans les milieux estudiantins parisiens, des sympathisants communistes. Il se lie avec Denis, proche de cette mouvance politique, mais s’en éloigne assez vite, rebuté par sa tiédeur et son incompréhension des aspirations du peuple algérien à l’indépendance. Ultérieurement, il est mis en contact, par l’intermédiaire d’un mystérieux Egyptien, avec une cellule du FLN.
Commence alors l’initiation : les techniques pour échapper aux filatures policières, les localisations de planques, les rendez-vous secrets. Après cette mise à l’épreuve, Octavio transporte des armes, des « valises », dont la dangerosité du contenu est évidente.
Son frère entre dans la police et se lie avec des milieux d’extrême-droite pour devenir membre de l’OAS.
Le grand mérite de ce roman est d’éviter l’écueil d’être uniquement une illustration d’une thèse historique : celle de l’inéluctabilité de l’accès à l’indépendance de l’Algérie. Lancelot Hamelin nous rappelle, à juste titre, que les idées, convictions de toute nature, sont portées par des êtres humains, en proie au doute, friables, fragiles. Ainsi, la lecture des lettres que Denis, son ancien camarade, envoie d’Algérie où il a choisi d’accomplir son service militaire pour se conformer aux consignes du parti communiste est-elle révélatrice des contradictions et drames ayant à cette époque frappé le milieu militant politique de la gauche en France. A la fin du roman, Octavio trahit le FLN, par la défaillance de transmission de documents importants.
Il y a, également, tout un travail de reconstitution, à saluer, tel que la description des habitants du bidonville de Nanterre, dans les années cinquante à quelques kilomètres de Paris : « Vivait dans ce douar de bidons un peuple comprimé, un peuple lui aussi bidon, déplacé et chassé d’un pays où les ancêtres avaient été violentés par les bombes dans le repos même des cimetières ; les chenilles des blindés, le napalm et le cri de leur descendance. Dans ce pays où ils avaient été jetés, et où la liberté n’était pas pour eux, c’était ici que les Algériens trouvaient un refuge ».
Les citations de discours des hommes politiques de l’époque restituent fidèlement le décor et resituent l’action d’Octavio et de son frère dans le contexte historique.
Ce roman, à travers ces deux destins de frères déchirés par l’histoire mais qui continuent à s’aimer, filialement, n’est pas manichéen : il décrit, avec efficacité et justesse, les crimes des deux camps, l’affrontement de deux terreurs. L’arrière-fond historique, ces années de braise, ainsi que les appelait le cinéaste Lakhdar Hamina, sont en résonance permanente avec le destin de Judith, d’Octavio et de son frère. A lire absolument.
Stéphane Bret
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