Le Chevalier aux épines I, Le tournoi des preux, Jean-Philippe Jaworski (par Didier Smal)
Le Chevalier aux épines I, Le tournoi des preux, Jean-Philippe Jaworski, Folio, mai 2024, 736 pages, 11,70 €
Edition: Folio (Gallimard)
Il convient d’être honnête : non, bien qu’il ait reçu le prix Elkabin.net, le premier tome du Chevalier aux épines, la nouvelle incursion de Jean-Philippe Jaworski dans le Vieux Royaume, n’a pas convaincu, voire a lassé. De toute façon, on sait qu’un prix n’oblige en rien à l’adhésion – ce même prix avait couronné Deniers jours d’un monde oublié de Chris Vuklisevic, et ce roman avait agacé bien plus que plu. Mais là, il s’agit de Jaworski, dont l’œuvre a été célébrée à deux reprises en ces pages, et la déception est d’autant plus grande.
Tâchons d’expliquer pourquoi Le Tournoi des preux est tombé des mains. L’histoire est celle d’un chevalier, Ædan de Vaumacel, qui aurait dû se présenter comme champion de la duchesse Audéarde de Bromael, accusée d’adultère, mais en a été empêché. Il réapparaît un an après le procès, alors qu’elle est emprisonnée, désireux de restaurer son honneur et celui de la dame, emprisonnée. À cela se mêlent une histoire d’enfants de gueux enlevés et des tensions politiques au sein du duché de Bromael. Tout est donc en place pour un roman épique.
Mais las ! dès les premières pages, Jaworski, dont on a pu apprécier la précision lexicale, semble vouloir perdre le lecteur dans un lexique hérité du Moyen Âge ou technique, voire les deux à la fois, dans ce qui ressemble plus à une démonstration de force qu’à une volonté de précision. Qu’on en juge par quasi un paragraphe extrait du premier chapitre, placé sous l’égide de Chrétien de Troyes : « les grands limiers de Treff étaient des bêtes entreprenantes et bien créancées. Après avoir effrayé un ou deux goupils imprudents, elles se souvinrent du fumet que Winnoc leur avait fait flairer en les menant à la paillasse que partageaient Agnel et Basine. C’était au deuxième jour de maraude ; après avoir longtemps balancé, la plus vieille lice halena une piste ». Rien de nouveau sous le soleil, juste l’impression, dans un premier chapitre pourtant rondement mené, que l’épate du lecteur est aussi de mise au point de vue formel.
Par la suite, c’est le bavardage entre les preux qui devient lassant – pour peu, on s’y perdrait, entre toutes ces tensions politiques, ces procès d’intention, ces proclamations d’une justice à rendre… Puis on a plus ou moins abandonné, autant l’avouer, faute d’un simple facteur pourtant attendu à la lecture d’un roman de fantasy, ou même d’un roman d’un autre genre : le plaisir. Ce qui avait plu dans Gagner la guerre ou dans Rois du monde, un certain souffle narratif et, il faut l’avouer, une gouaille bienvenue dans le ton, est ici manquant, et c’est sans ce sel que l’on se rend compte que certaines recettes signées Jaworski peuvent peser sur l’estomac. Ou du moins ce qui a eu l’heur d’enchanter dans les œuvres précédentes de l’auteur prend-il un temps fou à s’installer : au bout de cent pages, on ne voit pas encore très bien où Jaworski désire mener le lecteur, et diverses incursions menées dans la suite du roman n’ont guère éclairé notre lanterne. C’est cruel à écrire, mais l’œil n’a pas été attiré par un passage plus vigoureux que d’autres, dans ce qui ressemble à un délayage moderne, dans le cadre d’un Vieux Royaume qu’on a pourtant appris à adorer, des romans de Chrétien de Troyes.
Pour le côté ciselé de l’écriture et l’hommage appuyé à la littérature médiévale, ainsi que pour la complexité de l’histoire entamée, on peut comprendre que Le Tournoi des preux ait été primé ; qu’il soit permis d’espérer aussi d’un roman qu’il entraîne le lecteur dans un flux narratif sans lui donner l’impression de perdre son souffle à chaque page ou presque.
Didier Smal
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