Le Canal de Suez, 4000 ans d’histoire, par Nadia Agsous
Jusqu’au 9 août, l’Institut du monde arabe propose une exposition-rétrospective de l’histoire du canal de Suez – qanat as-suwès. Plans, maquettes d’époque, vidéos, extraits de films, photographies, gravures, dessins de presse, reproductions de peintures, sculptures, cartes géographiques, extraits de journaux de l’époque, maquettes de bateaux, modèles réduits des machines et objets divers, reconstituent les moments-clés de cette voie de communication stratégique.
A l’entrée de l’exposition, un rideau en velours rouge. Un prélude au spectacle. Levée du rideau. Un air de fête et de réjouissances trotte dans l’air. Des sons de trompettes de Aïda, opéra créé par Giuseppe Verdi à la demande du khédive égyptien, Ismaïl Pacha (1830-1895), donne à l’événement célébré une dimension solennelle. Des écrans animés reconstituent ce moment historique grandiose. Le 17 novembre 1869. Port Saïd. L’Egypte inaugure le canal de Suez, symbole de son renouveau. Trois tribunes accueillent des invités prestigieux venus assister à cet événement qui hisse l’Egypte au rang de nation moderne. Cet événement faste est raconté par Frédéric Mitterrand. Sa voix vibre d’émotion. Elle nimbe l’espace et donne à l’événement une dimension réaliste, comme si les visiteurs assistaient à l’inauguration. Cette section est l’un des temps forts de l’exposition.
Si 1869 est l’année de la concrétisation du Canal de Suez, l’histoire de son creusement remonte, cependant, à l’époque des Pharaons.
De l’époque pharaonique à la République de Venise (1850 av. J.-C, 1505)
C’est le Pharaon Sésostris III (1878-1762 avant J.-C.) qui construit le premier canal pour relier le fleuve du Nil et la mer Rouge. Les marchandises ne sont plus transportées à dos d’âne mais sur des voiliers qui mesurent entre 10 et 20 mètres de long.
Le canal s’enlise dans le sable à plusieurs reprises. Il est restauré par le roi Pharaon Ptolémée II vers 250 avant J.-C. En 640, Amru ben al-As (573-664) entreprend la reconstruction du canal et le baptise « Canal du Commandeur des croyants ». Au XIIIe siècle, le Calife Al-Mansur le détruit.
Les tentatives de la République de Venise et de Constantinople au début du XVIe siècle se soldent par un échec. Des ingénieurs français et notamment les Saint-Simoniens étudient le projet de creuser un canal. La proposition de Barthélémy Prosper Enfantin, le chef de fil des Saint-Simoniens (1796-1864), de construire un canal sans écluse n’est pas retenue par Méhémet Ali pour des raisons diplomatiques.
Construction du canal (1854-1882)
L’amitié qui scelle le vice-roi, Saïd Pacha, le successeur de Méhémet Ali, et Ferdinand de Lesseps, diplomate français, joue un rôle décisif dans la construction du canal. En 1854, Saïd Pacha confie cette tâche à F. de Lesseps. Cette décision attise la colère des Britanniques qui s’opposent à la présence française dans la région.
Les fellahs égyptiens de la contrée du Delta participent au creusement du canal historique. Ils sont employés comme ouvriers non qualifiés. Leurs conditions de travail sont abominables. Ils sont exploités. Leurs outils de travail sont rudimentaires. La chaleur les accable. Ils ont soif. Le choléra les achève. Beaucoup de paysans meurent dans la fournaise du désert.
La main d’œuvre humaine s’avère insuffisante. Les machines remplacent la main d’œuvre locale. L’utilisation de dragues, de grues élévatoires, de broyeurs, de foreuses, de pompes ainsi que la construction de chemins de fer et l’utilisation de la vapeur pour faire fonctionner les machines, les trains, les navires et faire tourner les dragueuses, donnent un coup d’accélération à l’aboutissement de ce projet grandiose.
Les rivalités autour du canal s’intensifient entre les Français et les Britanniques. En 1875, l’Egypte vend ses parts à la Grande Bretagne.
En 1882, l’Egypte est sous la tutelle britannique. Le canal de Suez est sous contrôle britannique. L’Egypte obtient son indépendance partielle en 1920. En 1936, le traité de Londres proclame l’indépendance de l’Egypte. Le canal de Suez reste sous contrôle britannique pendant 20 ans. En juillet 1952, les Officiers libres s’emparent du pouvoir et proclament l’indépendance de l’Egypte.
« Le canal aux Egyptiens », Gamal Abdel Nasser nationalise le canal (1956)
Quatre vingt-sept ans après l’inauguration du canal de Suez, le 26 juillet 1956, le jour de la fête nationale, Gamal Abdel Nasser annonce sa nationalisation. La section consacrée à cet acte historique constitue le second moment fort de l’exposition. Un écran géant passe en boucle le discours du président égyptien et la foule qui jubile. Un autre écran diffuse un extrait de Nasser 56, biopic sur Gamal Abdel Nasser réalisé en 1996 par le réalisateur égyptien, Mohamed Fadel.
Le canal, zone de conflits et de combats (1956-1973)
Les conflits autour du canal s’intensifient. Le 29 octobre 1956, la coalition française, britannique et israélienne lance l’opération « Mousquetaire » qui dure trois jours. Le veto de l’Union des républiques socialistes soviétiques et des Etats Unis d’Amérique met fin à cette attaque.
En 1967, c’est la Guerre des Six jours (du 5 au 10 juin). Israël occupe le Canal et construit la ligne de défense « Bar Lev » sur la rive orientale. Le canal est fermé pendant huit ans. Le 6 octobre 1973, l’Egypte lance l’opération Badr pour reconquérir une partie du désert du Sinaï. Ses troupes franchissent le canal. Les Israéliens ripostent. C’est la guerre du Kippour. Le 11 novembre, les Israéliens et les Égyptiens signent un accord de paix. Le Canal de Suez est ré-ouvert à la navigation le 5 juin 1975 par le président égyptien, Anouar el-Sadate.
Un nouveau canal, source de revenus pour l’Egypte
La dernière section de l’exposition met en scène le nouveau canal inauguré le 6 août 2015 par le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi. Ce deuxième canal creusé sur la partie orientale du canal historique a une longueur de 72 km. En 2015, le canal a rapporté environ 5,3 milliards de dollars à l’Egypte. En 2023, l’apport est estimé à 13,2 milliards de dollars. Les revenus provenant du canal représentent 20% du budget de l’Etat.
Cette exposition est intéressante au moins pour deux raisons
D’abord, pour l’originalité et la richesse de sa scénographie à caractère cinématographique. En effet, en plus de la mise en scène d’une variété d’objets, de supports historiques, et de pièces, très souvent rares et exceptionnelles, l’usage de la vidéo, de la photographie et d’extraits de films dynamisent cette exposition qui reconstitue l’histoire de ce canal, « symbole de modernité et d’optimisme », qui fut à une époque de l’histoire, « le nombril du monde » et la fierté de l’Egypte.
Le deuxième point concerne l’approche de l’exposition. Son caractère pluridisciplinaire : historique, politique, géostratégique, artistique, philosophique, architectural, permet aux visiteurs d’avoir une vue d’ensemble de l’histoire de cette voie maritime qui fut un enjeu central de pouvoir et de conflits entre les nations.
L’histoire du Canal de Suez est intimement liée à celle de l’Egypte. Au 21è siècle, l’isthme égyptien continue à susciter de l’espoir ; de l’espoir pour les Egyptiens qui le conçoivent comme un moyen de relance et de développement économique. Car avec l’élargissement de cette voie d’eau, le président égyptien espère relancer l’économie égyptienne et atténuer le chômage qui frappe de plein fouet une grande partie de la population égyptienne.
Osons espérer que les recettes issues de ce canal profiteront au plus grand nombre et contribueront à atténuer un tant soit peu la pauvreté et la précarité dans la laquelle un très grand nombre d’Egyptiens s’enlisent chaque jour.
Nadia Agsous
Infos pratiques :
L’exposition sera présentée au Musée d’histoire de Marseille, du 19 octobre 2018 au 31 mars 2019. L’Égypte a prévu de l’accueillir en novembre 2019, dans le nouveau musée des civilisations au Caire dans le cadre du 150è anniversaire du canal.
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