Le Bruit des choses, Philippe Barrot (par Guy Donikian)
Ecrit par Guy Donikian 21.01.25 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie
Le Bruit des choses, Philippe Barrot, PhB éditions, octobre 2024, 48 pages, 10 €
Ce texte court, poétique, n’est pas, a priori, ce que laisse supposer son titre, « le bruit des choses » ; il s’agit plutôt d’un futur antérieur, sans doute inspiré des effets du bouleversement climatique, dont les conséquences sont déjà présentes, comme en Espagne récemment… Ici l’eau est omniprésente, qui recouvre tout un environnement auparavant bruyant de vie, et un presque silence s’instaure où la vie prend des formes autres et cependant contingentes. Il y a alors des vies plus sourdes qui naissent de la submersion, des vies qui s’insinuent et s’instaurent en rappelant à l’évidence ce qui fut et ce qui ne sera plus.
Et dans ces eaux, qui désormais recouvrent tout, l’éponge prend vie et place, et « révèle l’antérieur silencieux des eaux salées, lieu de vie par excellence, où se trament les divisions cellulaires d’un devenir dont on ne sait rien ». L’éponge, en raison de ses appétits, a amassé des matériaux divers qui ont permis la complexité de sa morphologie en dédale. Mais si l’eau est son milieu de prédilection, « L’éponge vit une autre vie sans eau.
Bien plus, c’est sur terre qu’elle s’exprime le mieux (…) elle perd son volume mais pas ses qualités ; la partie la plus petite exprime la vertu du tout. L’éponge est une figure de rhétorique, la synecdoque ». Si sa raison d’être au monde est d’être spongieux, si elle redonne ce qu’elle a pris, elle n’en connaît pas moins une crise existentielle, due à la déshydratation, qui est sa vraie maladie.
Le caméléon a aussi sa part dans ce désert, il a « la tentation existentielle d’être invisible ». Son plaisir, son déterminisme « tout paraître et ne rien être ». Le décor est ce pourquoi il vit, s’y noyer, et en tant que passe-murailles, il développe un goût immodéré de l’hypocrisie qui fait de lui un collaborateur.
Il en va tout autrement de la méduse, dont « la rondeur signe une aptitude à l’autonomie, à la solitude, à l’indépendance, une vie autarcique sans besoin d’aide, une vie circulaire fermée sur elle-même, hermétique aux émotions ». Elle n’a pourtant mémorisé des cinq sens « la seule sensibilité au toucher ». Mais la méduse s’habille de transparence, dans ce désir d’autonomie et qui est la forme la plus aboutie du secret. Son futur est porté par le hasard des courants, telle une montgolfière sous-marine. Son déplacement se fait aussi « au rythme d’une propulsion pulsatile ».
L’algue brune est un invariant des eaux, elle n’est pas prédatrice et n’a pas de prédateur. Son atout essentiel, en dehors de sa capacité à se nourrir des nutriments et de la lumière, c’est « son sens inné du regroupement, du collectif sans être collectiviste, formant un bouclier protecteur contre l’adversité ». Si d’autres algues représentent un danger (algue verte, algue rouge), l’algue brune est de toutes les utilités, l’art culinaire en a fait un gélifiant indispensable à un certain entremets, signe chez elle d’une générosité à toute épreuve.
Philippe Barrot a, en somme, écrit une dystopie poétique, le déluge annoncé n’étant ici qu’anticipé. C’est en laissant libre cours à sa sensibilité que l’auteur a pu écrire ces lignes qui ont pour objet, finalement, non pas la description d’une catastrophe qu’ils sont nombreux à produire sous différentes formes, le roman étant bien entendu privilégié, mais ici les mots, et leur musique serait-on tenté de dire, qui privilégient mouvements, sursauts de l’esprit, de l’âme diront certains. Une idée de l’esthétique traverse aussi ces textes, tout comme celle de la laideur est présente quand Philippe Barrot souligne les travers moraux du caméléon.
Guy Donikian
Philippe Barrot a notamment publié : Sol Perdu (2019), Ne Pas Dire (2020), et Marché Aux Timbres (2021) chez PHB Editions. Il a également créé la maison d’édition « Chroniques du çà et là ».
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