Le blé en herbe, Colette
Le blé en herbe, Garnier-Flammarion
Ecrivain(s): Colette
Le talent de Colette a su saisir un instant, celui du passage de l’enfance à l’adolescence, des jeux insouciants à la conquête d’un avenir d’homme et de femme. Vinca et Philippe sont des amis de vacances ; leurs parents, les Ferret et les Audebert, louent chaque été la même villa sur la côte cancalaise. Cet été-là, la fraternelle amitié, ce lien fait d’aventures, de pêches aux écrevisses, de rires et de chamailleries sableuses traverse l’eau trouble des désirs naissants : « Toute leur enfance les a unis, l’adolescence les sépare ». Durant leurs excursions, Vinca et Phil n’étaient l’un pour l’autre ni fille ni garçon, mais deux compagnons de vacances. Les baignades se transforment en discrets jeux de regards sous lesquels naissent peu à peu le corps de l’autre comme l’évidence du désir. Philippe observe et détaille sa petite compagne ; Vinca apparaissant dès lors comme une femme, la femme qu’il faut posséder. L’autre s’émancipe vers son identité propre, son devenir sexué, dans une faiblesse nouvelle qu’il faut captiver. Si l’enfance se tenait entre Vinca et Philippe comme un temps sans durée, sans distance, et sans altérité, l’adolescence vient dès lors irrésistiblement troubler la paix des corps.
Le temps immémorial de l’enfance s’éteint comme le crépuscule avant le premier jour de l’âge d’homme. Philippe a seize ans, et l’enfant qu’il est encore un peu s’impatiente de l’homme qu’il sera, s’irrite contre les chemins de traverse, le dur labeur d’un avenir à édifier « je crève à l’idée que je n’ai que seize ans ! Ces années qui viennent, ces années de bachot, d’examens, d’institut professionnel, ces années de tâtonnements, de bégaiements où il faut recommencer ce que l’on rate, où on remâche deux fois ce qu’on n’a pas digéré si on échoue, ces années où il faut avoir l’air devant papa et maman d’aimer une carrière ». L’envie de vieillir, « avoir vingt-cinq ans », la magie de la maturité sans effort, sans douleur se trouve peut-être pour Philippe au bout de l’étreinte amoureuse. A l’intolérance de l’adolescent succède bien souvent la crainte écolière des vacances trop vite passées, de l’odeur de rentrée, de la douloureuse mise en ordre des jours de septembre, la reprise d’une vie sans Vinca, sous la gouverne silencieuse des parents, ces « Ombres » comme les appelle Colette. L’auteur parvient à s’emparer du vertige de Philippe et à maintenir en équilibre le moment précaire de l’entre-deux-âges.
Afin de mieux goûter à cette indépendance avant l’heure, Philippe songe, fantasme « la vie d’adulte », projette sur fond d’un futur trop lent à s’esquisser les idées vagues de mariage, de foyer, de paternité, attelages d’une vie d’homme installé. Ses rêves virils virevoltent et se mélangent, nourris de toute l’inexpérience sur les femmes et l’amour dont un garçon de cet âge peut souffrir. Le feu de son imagination contraste singulièrement avec le calme silencieux et sage de Vinca se préparant déjà aux responsabilités d’une femme, d’une mère, d’une maîtresse de maison, pour qui grandir n’est pas synonyme de choix mais d’acceptation, de perpétuation. Philippe qui voudrait voir Vinca lui appartenir comme une amante, et même comme une épouse, se heurte alors à la pureté d’une jeune fille aux allures de garçonnet. Sa soif de volupté rencontrera donc d’autres bras ; la virilité ne se paye qu’à ce prix. Les serments d’amour des enfants ne suffisent pas à l’homme qui l’appelle. Le jeune homme trouvera son chemin au creux d’une inconnue, Madame Dalleray. Comme une seconde naissance, la virilité s’établit ainsi par la trahison de son union fraternelle à Vinca. Pourtant Colette ne laisse pas la jeune fille à l’image d’enfant insouciante et sans désirs. Elle parvient à dessiner sa féminité, toute en réaction à la trahison de Philippe. Comme une fatalité, Colette nous représente Vinca dans l’intuition, la jalousie, et le pardon. Leur histoire offre une étude discrète d’un couple, dont la jeunesse n’exprime que plus purement les aléas si constants de l’amour.
Le blé en herbe est peut être plus profondément l’éclat de l’enfance, la « hâte de vieillir » comme la peur de perdre cette époque si douce où les liens ne s’emmurent en nul serment, parce que la trahison comme la possession n’existent pas. Pureté des descriptions, suavité des métaphores, le thème unique de l’adolescence suffit à tenir un récit d’une belle simplicité, tout en maintenant la tension aiguë d’une épreuve du feu : quitter l’enfant que l’on est.
Sophie Galabru
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