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Le Bigre bang, les Mystères de la Création, Alain Kewes, Marilyse Leroux

Ecrit par Michel Host le 07.03.16 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Le Bigre bang, les Mystères de la Création, Alain Kewes, Marilyse Leroux

 

Le Bigre bang, les Mystères de la Création, Alain Kewes, Marilyse Leroux, éd. Gros textes, coll. Les Tilleuls du Square, décembre 2015, 100 pages, 10 € (http://grostextes.over-blog.com/)

 

Rions, ça nous changera !

« On découvrira… que le grand ballet des planètes et des galaxies n’a peut-être pas tourné au rythme harmonieux de la valse mais à celui plus imprévisible de la rumba. Que Dieu lui-même n’est peut-être pas celui qu’on croit », Avant-propos au Bigre Bang.

Créer le monde est un travail mystérieux – Pourquoi le faire ? Et comment fait-on ? – mystérieux, oui, et très compliqué. Qui en douterait ? Pas les auteurs de ces récits en tout cas. Un nouvelliste, une poétesse… La parité requise par la pensée bien ordonnée est respectée et l’on est assuré au moins de deux angles d’attaque complémentaires. Auraient-ils joué à Dieu le Père et au Saint-Esprit ? Sous une présidence laïque, c’est peu probable. De fait, pour leur nouvelle Révélation, ils ont alterné leurs rôles de temps en temps, de lieu en lieu ? Au lecteur d’en juger l’effet.

On n’est pas trop de deux, disons-le, pour les travaux de la sainte et véridique Histoire. Pour ceux de la Création, Yahvé, dont l’exploit tout personnel fut raconté par Moïse* dans La Genèse, ne fut pas avare de bourdes, inadvertances, sottises et reprises lissées par les anonymes chroniqueurs des temps bibliques. Il suffit d’ouvrir le récit premier pour s’en rendre compte. Aussi, nos deux auteurs n’hésitent-ils pas à affirmer que « Dieu (y) mit la gomme et bâcla un monde vite fait ». Pour retaper ? Non… pour refaire de fond en comble le divin bousillage. Et, assez souvent, ils y mettent eux-mêmes la gomme, car reconstruire est encore plus difficile que construire.

Allons sur le chantier. Le regard doit accommoder, prendre la mesure des choses, soit des évidences : avant d’être, « le monde ne fut pas ». Nos auteurs veulent nous convaincre de ce qu’ils redémarrent à zéro, à néant… À la haute époque on usa du Verbe (la Parole), et en notre temps on choisit le verbeécrit (avec sujet, compléments, et tout le bric-à-brac syntaxico-lexical que nous connaissons, d’où l’existence de ce livre !). Verbe et verbe peuvent-ils (pourront-ils) suffire à la tâche ? Cela, en tout cas, reste très bruyant : l’oreille s’accoutumera donc à la totalité de ces « Special sound effects » : « Dzingeling ! – Bris d’étoiles… » « Graoumpf – lapissement du saurien, variété dino… » « Pom pom pom pom, – adam se promène insouciant… » « Croc – concerto pour pomme et dents ». Un chantier de cette dimension réveille très tôt les amateurs de grasses matinées…

La consultation du mode d’emploi primitif aide sans aider : lumière, ténèbres, ciel et terre, océans, une flopée d’animaux (de l’escargot au kangourou, rendez-vous compte !), puis l’homme, la femme… Puis les finitions, les fignolages, la déco…

Comment se soutenir dans l’universelle entreprise de BTP : pas bête cette solution d’inventer les tonneaux, les vignes A.O.C., « le dé d’un doigt d’eau-de-vie »… « Ainsi fut le dé bu ». On plaisante sur le chantier, on blague… cela donne du cœur au ventre : après le « verbe », le bon mot ! Jésus, le Fils, avait sur cette seconde création l’œil d’un vieil adolescent marinant dans sa trentaine ambitieuse. Cela compliquait les affaires, d’autant plus que d’une boîte ouverte par mégarde, s’échappait, « exponentait» un univers imprévisible et plus guère maîtrisable. C’était le second bigre bang, que l’on devine très proche du premier. Il ne semble pas qu’un troisième soit prévu à ce jour.

Il reste loisible de penser que l’on est arrivé, à la fin des fins, à quelque chose qui ressemble à une création, à un monde… à une création du monde. En effet, « Dans son palais de nuages, Dieu frétillait». « Déjà Hastings, déjà Verdun, / Déjà les Mings et le Paris Saint-Germain »… L’homme a le temps de spéculer en Bourse… On sait comme il est, l’homme : un jaloux, un faussaire, un escroc sans scrupules, un plagiaire-né… Un certain Lucien Lamotte, pharmacien, est réputé avoir créé le monde en 1856, à Cateau-Cambrésis (Département du Nord). Puis d’autres encore s’attribuèrent les fonctions créatrices. Bref… Indubitablement… En toute certitude, la chose est en marche. Elle va, cahin-caha ! Fallait-il se donner un mal pareil ?

Historiens du monde préhistorique, antique, moderne et contemporain, Marilyse Leroux et Alain Kewes n’ont pas manqué de souligner les moments, les épisodes rares, significatifs, dramatiques ou désopilants qui marquèrent l’évolution du chantier. Le lecteur rira et pleurera tour à tour, ici pleurant de rire, là riant pour ne pas pleurer. Ainsi, le Grand Artisan invente ses jurons dans leurs formes les plus numériques, car déchiffrer modes d’emploi et notices de montage (souvent rédigés en un mauvais anglais traduit du japonais) n’est facile pour personne et on se tape sur les doigts pour un rien. S’il se détend, c’est pour inventer les couleurs de l’arc-en-ciel… Il peint, mais la beauté est-elle à sa portée ? L’invention qu’il fait des RTT (Redistribution du Temps Terrestre) est un grand moment qui apporte simultanément le progrès de la montre, « belle mécanique moutonnière » propre à « arrondir le jackpot de l’éternité »… Des moments décisifs, oui. D’autres moments, comme la babélisation des espaces terrestres, les balbutiements des premières écritures, prennent promptement un tour dramatique avec « Les lettres du moulin à paroles [qui] pouvaient tourner ad libitum dans le grand vent de l’Histoire… ». Une hypothèse soudain se fait jour : et si les forêts primaires, quelque chose de féminin, quoi ! s’étaient ingéniées à créer l’Homme, puis l’avaient nommé Adam Brosse ! Rien de plus plausible quand on y pense. De nouvelles réalités se mettent en branle : « Je ris de me voir si rieuse en ce riroir ! », gloussait Ève à qui voulait l’entendre. Ah ! ils s’en payèrent de sacrées poilades sous l’Arbre de Vie, et de fente de poire en fente de pomme, on connaît la suite… ».

La suite, c’est bien connu, est connue. Pas tout entière dans les expulsions des Paradis par voie d’huissier céleste, non, car reste le rire, commandé par le Grand Rieur des Cieux au drolatique et philosophique Alcofribas, et à l’auteur de la Critique de la déraison pure. Le résultat espéré tout à l’heure, est enfin venu. Nous qui habitons aujourd’hui ce monde pouvons témoigner de la véracité du rire comme des larmes : « Quelques millénaires plus tard, le rire court toujours entre les côtes. Certains crétins essaient bien de le museler, de l’étouffer sous la cape, de lui faire rendre gorge, mais, foi d’Alcofribas, il n’est pas encore né, celui qui pourra l’arrêter ».

Peu importe que nos reconstructeurs aient posé le toit de la maison avant d’en monter les murs. Que cela s’écroule encore et qu’il faille sans cesse remonter les murs… Peu importe qu’Adam soit quelque peu fainéant, qu’Ève, qui « avait plus d’un tour dans son sac » soit chargée de « redresser le moral en berne de son Adam de service », chargée des travaux mal visibles donc, pour ne pas dire subalternes. Nous avons pas mal usé du temps et de l’espace du nouveau Jardin… Nous vivons, et ce doit être l’essentiel. Alors, qu’un dieu absurde et sanglant veuille aujourd’hui s’immiscer dans le Verger, grimper aux branches de l’Arbre, jouer au Premier et à l’Unique, cela n’importe pas davantage. Les auteurs duBigre-Bang nous livrent la bonne raison que nous avons d’être « en paix » : un jour, « Dans la complexité infinie de sa Création, Dieu avait oublié l’Oubli ». Même s’il s’empressa de remédier à cette erreur en le créant, ce Verger, afin de pouvoir lui aussi boire « en paix » son apéro, il semble bien être retombé dans cet Oubli des humains. Omniscient comme il l’est, il sait que nous allons nous tirer d’embarras par nos propres forces. Il sait aussi qu’il garde un œil sur nous et qu’il n’a pas abandonné sa Création.

 

Michel Host

 

* C’est ce que l’on pensa et affirma longtemps après avoir noyé le récit dans un ensemble de cinq livres, le Pentateuque. Puis il fallut en rabattre, Moïse avait déjà bien assez à faire avec les hommes qui se conduisaient si mal qu’il fut mandaté par Yahvé pour leur faire déchiffrer Les Tables de la Loi.

 

Marilyse Leroux est née à Vannes en Bretagne. Elle est poète (Prix de Poésie des Écrivains 2014 pourLe Temps d’ici, aux éditions Rhubarbe), nouvelliste, parolière et animatrice d’ateliers d’écriture. Derniers ouvrages parus : Terre Vivante, 2014, Ed. Stéphane Batigne ; Blanc bleu, 2014, Ed. Rhubarbe.

Alain Kewes est né en Lorraine et réside à Auxerre. Nouvelliste (Prix Prométhée de la nouvelle 1997 pour Le Geste manqué de l’amant, éditions du Rocher). Il a créé les éditions Rhubarbe en 2004 : plus de 120 titres au catalogue. Derniers ouvrages parus : Quand ça veut pas ça veut pas, Ed. Gros Textes ;Ce n’est pas mon visage !, Ed. Encre Vagabondes.

 

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A propos du rédacteur

Michel Host

 

(photo Martine Simon)


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Rédacteur. Président d'honneur du magazine.


Michel Host, agrégé d’espagnol, professeur heureux dans une autre vie, poète, nouvelliste, romancier et traducteur à ses heures.

Enfance difficile, voire complexe, mais n’en a fait ni tout un plat littéraire, ni n’a encore assassiné personne.

Aime les dames, la vitesse, le rugby, les araignées, les chats. A fondé l’Ordre du Mistigri, présidé la revue La Sœur de l’Ange.

Derniers ouvrages parus :

La Ville aux hommes, Poèmes, Éd. Encres vives, 2015

Les Jardins d’Atalante, Poème, Éd. Rhubarbe, 2014

Figuration de l’Amante, Poème, Éd. de l’Atlantique, 2010

L’êtrécrivain (préface, Jean Claude Bologne), Méditations et vagabondages sur la condition de l’écrivain, Éd. Rhubarbe, 2020

L’Arbre et le Béton (avec Margo Ohayon), Dialogue, éd. Rhubarbe, 2016

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Mémoires du Serpent (roman), Éd. Hermann, 2010

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Carnets d’un fou. La Styx Croisières Cie, Chroniques mensuelles (années 2000-2020)

Publication numérique, Les Editions de Londres & La Cause Littéraire

 

Traductions :

Luis de Góngora, La Femme chez Góngora, petite anthologie bilingue, Éd. Alcyone, 2018

Aristophane, Lysistrata ou la grève du sexe (2e éd. 2010),

Aristophane, Ploutos (éd. Les Mille & Une nuits)

Trente poèmes d’amour de la tradition mozarabe andalouse (XIIe & XIIIe siècles), 1ère traduction en français, à L’Escampette (2010)

Jorge Manrique, Stances pour le mort de son père (bilingue) Éd. De l’Atlantique (2011)

Federico García Lorca, Romances gitanes (Romancero gitano), Éd. Alcyone, bilingue, 2e éd. 2016

Luis de Góngora, Les 167 Sonnets authentifiés, bilingue, Éd. B. Dumerchez, 2002

Luis de Góngora, La Fable de Polyphème et Galatée, Éditions de l’Escampette, 2005