Le 20ème Maghreb des livres : Entretien avec Georges Morin
Les 8 et 9 février 2014, l’association Coup de Soleil fêtera les vingt printemps du Maghreb des livres. A cette occasion, la littérature du Grand Maghreb sera mise à l’honneur et en valeur. Georges Morin, le Président de l’association organisatrice, nous livre son regard quelques jours avant l’événement.
Quel bilan faites-vous de cette manifestation littéraire et culturelle vingt ans après sa création ?
Le Maghreb des livres a effectivement 20 ans cette année 2014, puisque c’est en octobre 1994 que l’association Coup de soleil (elle-même née en 1985) a créé cette manifestation littéraire sur les conseils de mon ami le grand écrivain Rachid Mimouni. Il lui paraissait important de mettre en valeur, fortement, une fois l’an, l’ensemble des livres parus sur le Maghreb ou écrits par des auteurs du Maghreb.
Le bilan est très positif, si j’en crois tous les échos que nous en avons. On nous dit, pour reprendre les principaux commentaires : qu’il s’agit de la plus grande librairie maghrébine de France, celle où l’on trouve l’essentiel de la production littéraire ; que nous permettons aux visiteurs de rencontrer les grands auteurs mais aussi les jeunes talents ; que nous organisons de très nombreux débats sur des sujets touchant à l’actualité, à l’histoire, à l’intégration et à la littérature. On nous dit qu’il y règne une ambiance chaleureuse, fraternelle, qui fait du bien à tous (surtout par les temps qui courent !). Ce sont tous ces éléments qui, sans aucun doute, nous ont permis de tenir la route depuis 20 ans.
De quelle nature sont les difficultés que vous avez rencontrées durant ces vingt éditions ?
Tout n’est pas facile ! Nous avons d’abord du mal à expliquer que chaque auteur ne soit pas invité à dédicacer : tous les livres parus l’année précédente sont là mais, malgré les vastes espaces que nous offre l’Hôtel de ville de Paris et sur deux jours, on ne peut dépasser les 140 à 150 auteurs (sur les 800 que nous repérons chaque année). Il nous faut donc sélectionner et on le fait sur plusieurs critères : le livre se prête-t-il à une demande de dédicace ? Comment équilibrer au mieux les auteurs hommes et les femmes ? les auteurs algériens, français, marocains et tunisiens ? les romanciers et les essayistes ? etc. La deuxième difficulté, même si les choses s’améliorent, est de bien repérer les livres édités au Maghreb (il n’y a pas d’organisme qui les recense comme c’est le cas pour les livres parus en France grâce à Livres-Hebdo). La troisième difficulté concerne tout le milieu associatif, c’est la situation financière de l’État français (Affaires étrangères, Culture, Intégration) et des collectivités locales (Région Île-de-France et Ville de Paris) qui nous soutiennent. La crise les oblige de plus en plus à restreindre leur aide et cela nous fragilise, alors même que notre manifestation tend à se développer chaque année.
Quels sont les apports de ces rencontres pour la France et pour les pays du Maghreb sur le plan littéraire et éditorial ?
Pour la France, c’est l’existence d’une manifestation mettant en valeur toute sa part maghrébine, celle héritée de l’Histoire comme celle qui fait sa réalité humaine, culturelle et sociale d’aujourd’hui. C’est une arme essentielle contre toutes les intolérances, les xénophobies et autres obscurantismes. Pour le Maghreb, c’est une occasion unique de faire connaître la créativité de ses écrivains et la vitalité de ses éditeurs.
Comment qualifieriez-vous l’état de l’Edition des pays du Maghreb ? Existe-t-il des disparités, des différences, des points de communs entre les cinq pays ?
L’édition au Maghreb est vivante et professionnelle. Mais elle souffre aussi de nombreux maux. Alors bien sûr comme partout il y a d’excellents éditeurs et d’autres qui le sont moins. Mais c’est toujours réconfortant, lorsque l’on se balade à Alger, Tunis ou Rabat, de voir les librairies (trop peu nombreuses, hélas) regorger de très bons et très beaux livres édités sur place. Quel dommage, par contre, que ces ouvrages ne circulent pas d’un bout à l’autre du Maghreb : il y aurait là un marché fantastique pour les éditeurs des trois pays ! Autre grand regret : le manque criant de traductions : il y a d’excellents écrits en langue arabe, d’autres excellents écrits en langue française mais il n’y a pas de « métissage », de traductions entre les deux, ou si peu ! Autre difficulté : le manque d’organisation entre les éditeurs, qui pourraient notamment travailler ensemble pour être mieux diffusés en France, par exemple. Pour le reste, l’édition maghrébine souffre des mêmes maux que l’édition en Europe : pas assez de lecteurs, difficultés des librairies, etc.
Envisagez-vous de nouvelles formes pour les éditions à venir ? Pensez-vous engager des partenariats avec des salons des livres dans l’un ou plusieurs pays du grand Maghreb ?
J’ai envie de vous répondre qu’on ne change pas une formule qui gagne. Pourtant, nous n’avons cessé de faire évoluer le Maghreb des livres depuis 20 ans, tout en restant fidèles aux deux moteurs incontournables existant depuis 1994 : faire connaître les livres et les auteurs et organiser des espaces de débats et de réflexion. En fait, nous avons surtout ajouté, année après année, de nouvelles activités : cela va de l’espace jeunesse, organisé avec l’aide de l’Institut du Monde Arabe, jusqu’au café maure où l’on peut se restaurer autour d’un verre de thé et d’un bon makrout, en passant par un espace pour les revues, l’activité débordante d’un calligraphe et d’une joyeuse bande de dessinateurs de presse, des expositions de peintures et de photos, etc. Quant aux partenariats avec les salons du livre existant au Maghreb, nous n’avons rien bâti de très concret pour l’instant, même si nous avons d’excellentes relations, de fréquents échanges et si chacun se rend souvent au salon de l’autre. Mais il y a un problème majeur : c’est que nous ne sommes qu’une association culturelle alors que les salons de Tunis, d’Alger ou de Casablanca sont organisés par les ministères de la culture. Nous sommes vraiment tout petits face à ces trois géants. Nos moyens humains et financiers ne sont pas comparables !
Comment comptez-vous célébrer ces vingt années ? Quels sont les spécificités et les faits marquants de cette vingtième édition ?
Cette 20ème édition est marquée d’abord par le fait qu’il n’y a pas un seul pays à l’honneur, mais l’ensemble du Grand-Maghreb. Ensuite parce que nous avons multiplié les invitations et les débats pour que les trois pays du Maghreb central se sentent bien représentés : ainsi les quatre « Rencontres » habituelles sont passées à six pour permettre de rendre hommage à des personnalités d’Algérie (deux), du Maroc (deux) et de Tunisie (deux). La plupart des tables-rondes (toujours au nombre de quatre) ont un thème trans-maghrébin. Le Grand Maghreb on y croit tous, malgré les difficultés du moment, et on le montre !
La mairie de Paris est l’un des soutiens principaux du Maghreb des livres. Quel impact les élections municipales de mars 2014 pourraient-elles avoir sur les éditions à venir ?
C’est une évidence que le Maghreb des livres, en s’installant dès octobre 2001 à l’Hôtel de ville de Paris à la demande expresse du nouveau maire, le Tunisois Bertrand Delanoë, a connu un développement inédit. Un seul chiffre, si vous le voulez : on est passé tout d’un coup des 3.200 visiteurs du Maghreb des livres en 2000 à 6.700 visiteurs en 2001. Le nouveau maire voulait, je reprends ses propos, « ouvrir la forteresse de l’Hôtel de ville à tous les Parisiens et, en particulier, à tous les Parisiens qui ont des attaches avec le Maghreb ». Opération plus que réussie, n’est-ce pas ? C’est pourquoi je n’ai aucune crainte pour la suite. Sauf si un extrémiste opposé à nos valeurs arrivait à la tête de la capitale, ce qui ne semble pas à l’ordre du jour, je ne vois pas le nouveau maire élu en 2014 renoncer à cette belle image de marque que nous avons eu à cœur de donner au Maghreb des livres. On ne peut jurer de rien, bien sûr, mais on peut aussi faire confiance au bon sens des hommes et des femmes politiques !
Nadia Agsous
Le 20ème Maghreb des livres aura lieu les samedi 8 et dimanche 9 février 2014 à l’Hôtel de Ville de Paris.
http://www.coupdesoleil.net/pdf/l0220114155111.pdf
- Vu : 2808