A la fin le silence, Laurence Tardieu
A la fin le silence, août 2016, 176 pages, 16 €
Ecrivain(s): Laurence Tardieu Edition: Seuil
Les aléas de la vie constituent bien souvent le ferment des romans, et celui de Laurence Tardieu n’y fait pas exception. A la fin le silence s’inspire de deux malheurs à la fois, l’un prévisible, la vente d’une maison de famille tendrement aimée, à Nice, et l’autre imprévisible, les attentats meurtriers du 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo, à l’hyper casher de Vincennes et à Montrouge, puis celui du 13 novembre 2015 au Bataclan. Les souvenirs familiaux, teintés de bonheur et de tristesse, font surface et se mêlent au ressenti de l’actualité, d’abord le jour même des attentats, puis après-coup.
Dans la maison méridionale, nommée Cybèle, « si belle, plus belle que tout autre lieu au monde », dans le jardin de l’enfance, le temps est aboli : « J’ai six ans, quinze ans, trente ans, quarante ans, je suis une petite-fille, une fille, une orpheline, une mère […] Ici, je porte tous mes âges ». La narratrice y retrouve les odeurs, les présences et les voix du passé, empêchant ainsi « que le temps recouvre tout » : « Les enfants, rendez-vous compte, c’est divin ». « Oh, viens voir, maman, la tourterelle boit l’eau de la piscine ! ». « Vous avez vu comme le cèdre a grandi ? »
Les émotions sont exacerbées par le fait que la narratrice est enceinte et attend son troisième enfant, les sensations intérieures et l’instinct de protection des petits se conjuguant avec la violence de l’extérieur. Les formules se font généralisantes, dramatiques, épiques : « J’engueulais mon cerveau » d’avoir peur, comprenant peu à peu que c’était « sans doute l’innommable en train de se produire » et que « L’imprévisible était entré dans nos vies ».
De ces deux chagrins, l’un d’ordre privé, l’autre d’ordre public, émergent deux leçons de vie énoncées dans le livre, qui se font jour peu à peu. La première repose sur le constat que l’imprévisible, souvent choquant, parfois barbare et à tout coup perturbant, est le corollaire de la vie, sa définition, son essence, et qu’il faut apprendre à vivre à son côté : « l’adage dit qu’au fur et à mesure de la vie on s’alourdit mais moi je me demande si ce n’est pas l’exact contraire, je me demande si au fur et à mesure de la vie et de nos pertes, de toutes nos pertes, on ne pèse pas de moins en moins lourd ».
La deuxième leçon de vie concerne les voix de la maison à jamais perdues, qui « demeurent, je les ai emportées avec moi, toutes emportées, celle de ma mère, celle de ma grand-mère, celle de mon grand-père, du mistral faisant battre les toiles, des crapauds coassant le soir […] je les emporte avec moi, pour toujours je les emporte avec moi », de sorte que le titre de cet émouvant récit, écrit le cœur sur les lèvres, ne serait plus « A la fin le silence », mais bien plutôt : à la fin les voix retrouvées, les voix intemporelles, les voix à jamais conservées.
Sylvie Ferrando
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