- Erreur
Laisser les cendres s’envoler, Nathalie Rheims
Editions Léo Scheer, août 2012, 256 pages, 19 €
Ecrivain(s): Nathalie Rheims Edition: Léo Scheer
Comment amortir le choc consécutif au départ d’une mère du foyer familial lorsque l’on est âgée de 13 ans, et que l’on appartient à l’une des familles les plus prestigieuses d’Europe, les Rothschild, dont on découvre sans peine l’identité dans le récit de Nathalie Rheims, Laisser les cendres s’envoler, sans qu’elle mentionne leur nom dans l’ouvrage.
Le titre aurait pu être libellé à l’impératif, c’est l’infinitif du verbe qui est retenu, pour une raison simple : ce travail de deuil de la disparition de sa mère a été long, douloureux, source de recherches sur sa famille, sur les pratiques de cette dernière, sur ses ascendants. Il s’impose comme un constat à la fin du livre, et non comme un impératif.
Ainsi, Nathalie Rheims nous suggère-t-elle que sa mère, enfant elle-même issue du remariage de son grand-père, aurait été fragilisée dans l’atteinte de son propre équilibre affectif. Ce dernier, sa mère semble l’atteindre en tombant amoureuse d’un peintre prétendument avant-gardiste dont Nathalie Rheims tourne en dérision les prétentions, l’arrogance intellectuelle, et surtout la place qu’il prend dans la vie de sa mère, excessive à ses yeux, car provoquant son exclusion affective de la famille.
Il y a dans le récit de Nathalie Rheims toute une description des mœurs, pratiques et jugements engendrés par l’appartenance à ce milieu, celui de la haute bourgeoise financière, ainsi, de l’utilisation du silence en lieu et place de l’échange : « Ce qui était important était mis sous embargo et plus les événements méritaient que l’on en discute moins on en discutait. Parler n’était qu’un signe de faiblesse, la pratique d’un monde qui n’était pas le nôtre ».
L’auteur évoque également une autre source de souffrances personnelles, celle de la corruption des sentiments, après avoir appris qu’elle était déshéritée : « Non, ce n’était pas l’aspect matériel qui me hantait, cette tromperie-là me semblait dérisoire et mesquine, ce qui me blessait, c’était la fraude des sentiments ».
Nathalie Rheims traverse de multiples épreuves pour surmonter cet abandon : une vie matérielle précaire, une découverte de l’amour tourmentée et douloureuse, l’atteinte de l’anorexie corporelle. Elle énonce que l’éloignement de son milieu d’origine l’a délivrée d’une dette et du sentiment de culpabilité, étape peut-être décisive pour qu’elle fasse son deuil de cet abandon maternel. Il y a dans les dernières pages du livre d’intéressantes réflexions sur les comportements des grands financiers : « Devenir le mécène d’un artiste, dont on se dit qu’il accédera à la postérité est un moyen de triompher de la mort ».
Autre constat amer : le pari sur la survenance du pire qu’entretiendraient, selon l’auteure, les financiers : « L’art de prévoir le pire, tel était le savoir-faire à transmettre pour fabriquer ces princes de la finance, et que leur règne se perpétue de père en fils. Le pire, il fallait l’envisager en permanence et ne jamais le perdre de vue. Trouver des moyens pour le voir venir avant les autres ».
Le récit de Nathalie Rheims est empreint de cruauté, de drôlerie parfois, d’amertume, d’une juste distanciation vis-à-vis de ce contentieux familial à la résorption duquel elle nous convie avec délicatesse et justesse. La plume est acérée, les observations pertinentes mais non exemptes d’ironie.
La phrase finale du livre sonne comme un verdict. Evoquant les conséquences du décès de sa mère sur les relations familiales, l’auteure conclut ainsi : « Les uns et les autres se repliaient sur leurs secrets. Tandis qu’elle emportait le sien dans le néant, j’étais devant la tombe de ma mère inconnue ».
Peut-on être plus clair ?
Stéphane Bret
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