Lady first, Sedef Ecer
Lady first, L’Avant-scène Théâtre, juin 2016, n°1405, 128 pages, 15 €
Ecrivain(s): Sedef Ecer
« First lady ou lady first »
Sedef Ecer avec Lady First inscrit sa parole dramatique, cette fois-ci au cœur du pouvoir, elle qui jusqu’ici s’attacha dans ses pièces à dire les frontières, les périphéries et les seuils et à parler des humbles. L’action se déroule en effet dans un palais (d’été), lieu de villégiature d’un président sans nom et absent du texte. Unité de lieu, prison dorée dont il faudra tenter de s’évader pour sauver sa peau. Repaire de l’épouse de ce dictateur mésopotamien qui ressemble à bien des autocrates, tyrans de l’Histoire ancienne ou contemporaine. D’une certaine manière, comme chez Jarry, la farce politique s’installe « dans un pays de nulle part », « une république bananière » dit le texte p.10, entre deux fleuves, dans une époque indéterminée. Quelques éléments nous transportent dans un orient musulman indéfini, hétérogène. Les quatre personnages portent des noms (Ishtar, Yasmine, Gazal et Elish) qui renvoient soit à la mythologie orientale antique, soit à des noms arabisants.
C’est bien sûr autour de la figure centrale de La première dame que se noue ce travestissement orientaliste qui participe à la fois de la mascarade mais aussi de la réalité politique, que l’on pense aux épouses d’un Ben Ali ou d’un el-Assad. Elle porte ainsi parfois des vêtements traditionnels ; reçoit des chefs d’état européens (p.29) ; son fils a été circoncis, il est question de l’érection d’une mosquée. N’est-elle pas une sultane, la femme orientale glamour ? Mais elle convoite le luxe à l’occidentale. Pourtant cette reine, qui n’en est pas une (le statut de première dame l’écarte des vrais enjeux politiques), connaît la tentation livresque de la tragédie shakespearienne. Le texte de la pièce s’ouvre sur une citation de Lady Macbeth. Le titre même en anglais renvoie à cette filiation du pouvoir comme exercice corrupteur du Mal, de la Violence. Le chef de cabinet d’Ishtar ne lui dit-il pas : « Tu es un être tellement monstrueux, tellement vil, infâme, ignoble, lâche et odieux que même Richard III aurait l’air d’un Teletubbye » (p.42).
Malgré ses rêves de tragédienne (pp.47-56) Ishtar ne peut s’extirper de la gangue du grotesque. La comparaison avec les créatures de la télévision britannique sont éloquentes à cet égard. Ishtar ne maîtrise pas la langue tragique puisqu’elle doit passer par un prompteur pour s’adresser à la télévision et à son peuple. Elle ne dit pas comme on le fait au théâtre mais elle se contente de lire maladroitement et d’ailleurs son interview ne cesse d’être interrompue, coupée par les monologues qui viennent d’un flash forward (forme dramatique s’il en est) d’Elish (p.28-9) puis de Gazal (p.30-1), Yasmine (p.34-5). Plus encore, elle ne prend la parole seule que dans ce que l’on pourrait nommer un appendice du texte, que Sedef Ecer considère elle-même comme un supplément à l’excipit (p.57) et que d’ailleurs le metteur en scène Vincent Goethals a éliminé de sa réalisation. Dans ce « témoignage », Lady First enfin ouvre son cœur, passe en quelque sorte aux aveux mais il est trop tard. Ce ne sont là que des paroles post-mortem.
Son univers en vérité est kitsch, dérisoire, fondé sur les seules apparences de la beauté botoxée, des tenues que conçoit pour elle Gazal, couturier trans, qui la trahira comme tous les autres, conseillers et autres ministres qui sont autant de sinistres bouffons, jusqu’à ses propres enfants qui l’abandonneront à ses ennemis. Tous avides, cupides. La Lady First n’est qu’une image inversée d’une first lady. La première et celle qui reste la dernière, piégée dans son palais, dévorée par les fauves de son zoo jacksonnien, investi par les insurgés. A terre tandis que s’envolent en hélicoptère Gazal et Elish. Elle n’a pas pu gagner le cœur de la jeune Yasmine, fille de son amie d’enfance qui a été assassinée dans un attentat fomenté par le pouvoir. Et c’est Yasmine qui a le dernier mot, prononce la dernière parole théâtrale et justement shakespearienne :
« Je regardais les murs et j’imaginais sa vie. La vie de cette First Lady… La sœur de cœur de ma mère… Que j’imaginais en Lady Macbeth, avec une robe orange disant aux sorcières…
Il y a dans ce palais d’été une telle odeur de sang…
Qu’aucun parfum d’Arabie ne pourrait embaumer.
Qu’aucune pluie diluvienne de Mésopotamie ne pourrait laver
Voilà ».
Marie Du Crest
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