Labyrinthes, Christopher Okigbo (par Didier Ayres)
Labyrinthes, Christopher Okigbo, Poésie/Gallimard, mars 2025, 224 pages, 10,30 €

Vortex
Pure découverte que ce recueil du poète nigérian, Christopher Okigbo. Non pas que pour la couleur locale, les noms toponymiques, ceux des animaux, les descriptions des paysages d’Afrique. Cela ne s’arrête pas là, mais cherche l’union de cultures totémiques et de la poésie occidentale (dans sa version initiale en anglais, ici dans une édition bilingue). Et surtout, le vortex des mots, des images, de l’angoisse, de la mort et de l’espoir politique.
Écrire c’est ouvrir la Boîte de Pandore des inquiétudes nouvelles et qui n’ont jamais été dites. Parole de la mort qui est à la fois essence et unique moment sans nomination. Et au fond de cette boîte gît le pauvre langage humain.
Ici, cette nouveauté, vient d’un totémisme ancestral et exprimé pour la première fois. Ici, dans cette nouveauté, la guerre, éternelle, éphémère et sans visage – surtout pour Christopher Okigbo mort pour le Biafra. Totémisme séculaire confronté à la vieille modernité de la religion chrétienne, si délicate à pratiquer car venant des peuples colons. Donc, des poèmes-mythes. Des poèmes d’incarnation d’une Afrique. Des poèmes-millénaires et tout-nouveaux.
LUMIÈRE BLANCHE, accueille-moi, ton visiteur ; ô voie lactée
laisse-moi t’arrimer à ma taille ;
Et puissent mes tons adoucis de crépuscule
Casser ta porte de fer, fardeau de plusieurs siècles,
en deux cotylédons palpitants…
Est-ce une écriture métaphorique où se cacheraient la politique, l’idéologie, des idées pour un monde à venir ? Il y a en tout cas des tanks métalliques qui sortent comme de gros insectes dangereux, des animaux totems qui perdent leur sang, des coups de poings, des témoignages de maints passages (les colons, les décolonisateurs, les nouveaux chefs, les anciens chefs, toute une bande d’humains trop humains). Seul un certain archaïsme, que l’on perçoit dans la grande langue poétique, est capable de se maintenir au-dessus de ces moments sans suite et éphémères.
Puis il nous faut chanter, bouche cousue,
Sans nom ni audience,
Créant l’harmonie parmi les branches.
Cette poésie est une quête universelle, la compréhension d’autrui, une idée des dieux, un acte contre la mort, un pas vers la vie, le désir, l’amour et pourquoi pas le rêve politique. Cela est servi par des phénomènes littéraires inouïs. De l’étrangeté. Une inquiétude humaine structurale. Un choix poétique qui dit pleinement la personne d’Okigbo.
Des doigts de pénitence apportent
dans une palmeraie
une offrande végétale avec cinq
doigts de craie…
Ou
ET LES dieux gisent solennellement
Et les dieux gisent solennellement
Sans leur tambour long.
Et les dieux gisent inchantés,
Pour seul suaire des moisissures,
Derrière le sanctuaire.
Les dieux ont tari,
Abandonnés ;
Et eux aussi…
Qu’est-ce au juste un poète ? Si ce n’est celui qui de toujours choisit la vérité, n’hésite pas à se brûler au vortex hallucinant de la vie, choisissant l’angoisse contre l’angoisse et la beauté contre la beauté, plongeant dans la boîte linguistique pour y retrouver son visage et les visages de tous les hommes. Et ici, au croisement de Senghor et du vers claudélien, c’est à cette rencontre que l’on voit renaître l’éternité des propos, des dialogues d’hommes, et l’horrible mort qui concerne tout le monde.
Didier Ayres
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