La Villa du Jouir, Bertrand Leclair
La Villa du Jouir, décembre 2014, 262 pages, 17 €
Ecrivain(s): Bertrand Leclair Edition: Serge Safran éditeur
Le titre localise le roman et en définit les fondements.
Il s’agit bien d’un récit érotique se déroulant quasiment intégralement dans l’espace fermé d’une villa, dans l’enceinte infranchissable d’une maison fort close, dont la propriétaire, une mystérieuse princesse noire, absolue maîtresse des lieux, jouit… d’une fortune et d’une puissance considérables.
Symbolisme topologique et connotations : la Villa du Jouir est insulaire, isolée sur une île grecque, comme celle où Ulysse rencontra Circé, et porte la même appellation, explicitement hédonique, que la dernière demeure de Gauguin aux Marquises.
Intertextualité : filiation indubitablement sadienne, réminiscences d’histoires d’Ô, inscription dans le réseau textuel classique et moderne des récits de domination-soumission sexuelle et des liaisons périlleuses.
Spécificité : inversion de la distribution des rôles féminin et masculin généralement observée dans les œuvres du genre, et, concomitamment, inversion du schéma historique de l’esclavage. Le dominant est une femme riche et noire, le dominé est blanc et a besoin d’argent.
Ancrage, en guise de clin d’œil, de la fiction dans le réel : allusions aux relations qu’aurait eues la déesse avec un certain directeur du FMI d’une part, et avec un premier ministre italien très cavalier par ailleurs.
Maillage plus dramatique dans l’actualité mondiale : le combat que mène, en filigrane, la princesse nigériane contre les oligarchies financières qui pillent les ressources pétrolières de son pays.
Prétexte à la mise en scène des tableaux érotiques qui chapitrent l’histoire : le narrateur et personnage principal, Marc, écrivain, après avoir été physiologiquement testé, sans savoir qu’il s’agissait d’un étalonnage, par la belle Hannah, envoyée très spéciale de la princesse, est recruté par cette dernière pour une retraite d’écriture pas du tout commune puisque son contrat, des plus juteux, stipule qu’il doit pendant un temps donné se mettre au service particulier et se soumettre aux sévices très réguliers de son employeuse et, simultanément, écrire le récit de ce qu’il voit, vit et subit.
L’entretien d’embauche est décisif et le contrat promptement signé.
Je suis tombé sous le charme, immédiatement […] en voyant une grande femme noire, sculpturale, s’avancer aérienne vers ma table, aimantant tous les regards de la salle.
Une fois le marché conclu, muni de son baise-en-ville, il part se joindre aux reclus du secret sérail de l’île.
Car la domina entretient au sous-sol de ses appartements privés un harem de mâles tenus constamment en chaleur, qui n’ont évidemment pas subi le traitement privatif faisant les eunuques des harems traditionnels.
Marc, sous la coupe de la déesse nymphomane et de ses vestales, devient très vite, à rebrousse-poil de l’idée qu’il se fait de sa propre dignité, et à son corps fort peu défendant, tout comme ses compagnons de captivité, ilote sexuel prêt à toutes les servilités pour être un soir l’un des favoris, mieux, idéalement, l’élu du jour, la créature privilégiée soumise aux caprices les plus avilissants de la dea ex machina.
Et il souffre de cette emprise croissante, il supporte de plus en plus mal les périodes au cours desquelles l’adorée se désintéresse de lui, et il se morfond, après coup, de son asservissement, après chaque scène à laquelle il est appelé à participer en tant qu’acteur ou, supplice, comme simple figurant.
Peut-être que la honte d’avoir été si docile la veille alimentait le feu de mon ressentiment, sans même que j’aie la capacité de laisser ce sentiment de honte remonter jusqu’à ma conscience, sous peine de m’effondrer dans les larmes du repentir…
Se déprendra-t-il de cette dépendance dans laquelle il sombre jour après jour ?
Patryck Froissart
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