La Vie de Jésus à travers les Poètes, Françoise Claustres
La Vie de Jésus à travers les Poètes, éd. Artège, mai 2016, 128 pages, 11,90 €
Ecrivain(s): Françoise Claustres
L’initiative est louable : regrouper des poèmes et extraits de poèmes ayant trait à la vie du Christ. Tant pour le chrétien que pour l’amateur de poésie, ou pour qui serait les deux à la fois, ce volume présente un intérêt indéniable, d’autant que l’auteur de l’anthologie, Françoise Claustres, a déjà publié quelques volumes traitant du rapport entre littérature et Bible. Très bien.
Malheureusement, si cette anthologie présente un intérêt pour les curieux, elle présente deux défauts plutôt gênants. Le premier n’est en rien dû à l’anthologiste, qui a effectué un véritable travail de bénédictin (c’est le cas de le dire) : les grands noms (Claudel, Hugo, Saint-Pol-Roux ou Vigny) côtoient des poètes peu connus, certains perdus même dans les limbes du temps (Jean Meschinot ou Anne des Marquets) ; la recherche a été complète et dénote une vaste connaissance poétique de la part de Françoise Claustres. La plupart des grands épisodes de la vie du Christ, classés dans l’ordre chronologique, sont ainsi illustrés par un poème, celui-ci étant précédé d’une notice présentant l’auteur du poème et l’épisode en question.
Là où l’anthologie pèche (ce qui est un comble…), c’est dans l’inégale qualité des poèmes. Si quelques-uns sont d’une grande puissance (pour l’exemple, le premier quatrain de Golgotha, de Saint-Pol-Roux : « Le ciel enténébré de ses plus tristes hardes / S’accroupit sur le drame universel du pic. / Le violent triangle de l’arme des gardes / A l’air au bout du bois d’une langue d’aspic »), la plupart sont d’une platitude affligeante, dénotant plus de bonne volonté, de capacité à versifier et de foi que d’un véritable talent poétique. Si on était cruel, on en citerait l’un ou l’autre, mais ce ne serait pas chrétien… Disons juste que la sainteté de Thérèse de Lisieux n’est pas due à sa plume, ce sera suffisant. Mais il y a pire que la médiocrité des sans-grades poétiques ; celle des poètes éprouvés. Ainsi, on est désolé à la lecture d’Ascension par Paul Verlaine : à croire que s’être tourné vers la religion en prison lui a coupé les ailes poétiques – les deux premiers quatrains pour l’exemple : « Jésus au ciel est monté / Pour nous envoyer sa grâce : / Espérance et charité, / Foi qui jamais ne se lasse. / Patience et tous les dons / Que l’Esprit porte en ses flammes. / Et les trésors de pardons. / De zèle au salut des âmes ».
A ces bonnes intentions poétiques s’adjoint un autre problème de cette anthologie, problème lié lui à l’anthologiste et à la maison d’édition, qui se présente comme étant une « maison d’édition catholique fondée en 2007 » : rien à faire, dans les notices en particulier, il y a un petit côté catéchisme gênant aux entournures. Par exemple, dans celle pour Paul Verlaine, on peut lire ceci : « Quarante jours après avoir ressuscité et être apparu à ses disciples, Jésus monte au ciel. Son départ symbolise un nouveau mode de présence, plus intérieure, comme le chante le poète. Il ne nous abandonne pas et veille sur nous, à qui il a laissé son Evangile ». La dernière phrase est celle qui a des airs de catéchèse, et peut prêter à sourire – même si elle est exacte dans un contexte chrétien. Disons que cette phrase montre la limite de cette anthologie, avant tout destinée à illustrer de façon poétique la vie du Christ. En ce sens elle est une réussite – mais en tant qu’objet poétique, elle faillit un rien à sa mission. Et on peut légitimement regretter que l’affaire Saint-Pierre n’ait pas été évoquée, ce qui aurait permis de citer le sublime Reniement de Saint Pierre de Charles Baudelaire, que voici juste pour le plaisir – mais il est vrai qu’il est très peu chrétien :
Qu’est-ce que Dieu fait donc de ce flot d’anathèmes
Qui monte tous les jours vers ses chers Séraphins ?
Comme un tyran gorgé de viande et de vins,
II s’endort au doux bruit de nos affreux blasphèmes.
Les sanglots des martyrs et des suppliciés
Sont une symphonie enivrante sans doute,
Puisque, malgré le sang que leur volupté coûte,
Les cieux ne s’en sont point encore rassasiés !
– Ah ! Jésus, souviens-toi du Jardin des Olives !
Dans ta simplicité tu priais à genoux
Celui qui dans son ciel riait au bruit des clous
Que d’ignobles bourreaux plantaient dans tes chairs vives,
Lorsque tu vis cracher sur ta divinité
La crapule du corps de garde et des cuisines,
Et lorsque tu sentis s’enfoncer les épines
Dans ton crâne où vivait l’immense Humanité ;
Quand de ton corps brisé la pesanteur horrible
Allongeait tes deux bras distendus, que ton sang
Et ta sueur coulaient de ton front pâlissant,
Quand tu fus devant tous posé comme une cible,
Rêvais-tu de ces jours si brillants et si beaux
Où tu vins pour remplir l’éternelle promesse,
Où tu foulais, monté sur une douce ânesse,
Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux,
Où, le cœur tout gonflé d’espoir et de vaillance,
Tu fouettais tous ces vils marchands à tour de bras,
Où tu fus maître enfin? Le remords n’a-t-il pas
Pénétré dans ton flanc plus avant que la lance ?
– Certes, je sortirai, quant à moi, satisfait
D’un monde où l’action n’est pas la sœur du rêve ;
Puissé-je user du glaive et périr par le glaive !
Saint Pierre a renié Jésus… il a bien fait !
Didier Smal
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