La vérité sur « Dix petits nègres », Pierre Bayard (par Jean-Paul Gavard-Perret)
La vérité sur « Dix petits nègres », janvier 2019, 176 pages, 16 €
Ecrivain(s): Pierre Bayard Edition: Les éditions de Minuit
Un héros sans peur mais non sans reproche
Transformant la perspective qui accorde au seul auteur, lecteur ou critique le droit de parler des personnages, ici celui qui a commis le crime des Dix petits nègres d’Agathe Christie prend la parole.
Et ce pour une raison majeure : la romancière s’est trompée. Or, le personnage n’est pas de ceux qui veulent rester impunis. Il propose donc une enquête de l’enquête bâclée. Le criminel donne son avis « insoupçonnable » sur le texte dont il est objet. Tandis que tant le suspect se défile, à l’inverse celui-ci (ou celle-là) s’assume.
Ce livre de critique aussi ironique et surprenant se transforme comme le dit l’auteur en « roman policier ». Il se déroule en quatre temps : Enquête, Contre-enquête, Aveuglement, et Désaveuglement. Et le narrateur avant de quitter le livre donne son juste avis sur la victime, le meurtre et l’assassin (à savoir lui-même) en découvrant les nombreuses erreurs d’Agatha Christie, ses biais cognitifs et ses illusions d’optique.
L’auteur poursuit ses révisions comme il l’a déjà fait avec humour dans Et si les œuvres changeaient d’auteurs, Qui a tué Roger Ackroyd ?, L’affaire du chien des Baskerville, et Enquête sur Hamlet. Se mettant à la place de « l’autre » il prouve combien la solution façonnée par Agatha Christie est invraisemblable et il explique pourquoi la romancière s’est trompée.
Bayard déconseille au lecteur trop pressé de lire – avant d’y arriver – la fin de son enquête qui a laissé le ou la meurtrière de l’Ile du Nègre le loisir de rester impuni pendant un siècle. Si bien que pour lui il paraît impensable que de telles invraisemblances n’aient été dénoncées avant lui. Preuve que la vérité n’est pas la seule affaire des innocents.
C’est la preuve, dit le narrateur, que la capacité de s’illusionner reste chez le lecteur abyssale. Il était temps d’expliquer l’enchaînement des faits et de révéler enfin la vérité. Pas question bien sûr de donner ici la clé du livre. Ce serait gâcher son plaisir et manquer de respect à Bayard. Une fois de plus il est sans peur et sans reproche.
Jean-Paul Gavard-Perret
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