La valse des arbres et du ciel, Jean-Michel Guenassia
La valse des arbres et du ciel, août 2016, 304 pages, 19,50 €
Ecrivain(s): Jean-Michel Guenassia Edition: Albin Michel
A Auvers-sur-Oise, à la fin du XIXe siècle, vivent le Docteur Gachet, médecin collectionneur d’œuvres d’art impressionnistes, et sa fille Marguerite. Celle-ci, jeune fille cultivée et idéaliste, l’une des rares à l’époque à avoir obtenu son baccalauréat, désire ardemment devenir peintre. L’Ecole des Beaux-Arts lui est fermée à cause de son sexe : « […] dans ce pays, il n’y a rien de pire que d’être une femme ». Marguerite étouffe dans une famille dénuée d’amour, entre un père acariâtre et tyrannique et un frère faible, se sentant à l’étroit dans la société de la petite bourgeoisie de province corsetée par les convenances.
Marguerite, qui s’exprime en je tout au long du roman, est non seulement le témoin privilégié de la rencontre entre son père et Vincent Van Gogh, qui vient s’installer à l’auberge Ravoux d’Auvers-sur-Oise dans les derniers mois de sa jeune vie, à l’âge de 37 ans, mais aussi – c’est là le pouvoir de la fiction – elle noue une liaison passionnée avec le peintre, à qui elle voue une admiration sans limite. Le mystère de la mort de l’artiste s’éclaire alors d’un jour nouveau.
En effet, si Marguerite est incapable de créer, elle est assurément capable de ressentir la beauté et la violence qui s’expriment des toiles de Van Gogh : « ce que je vois n’est ni banal ni paisible, ce sont les blés et les arbres qui vibrent comme s’ils étaient vivants et passionnés de vivre, avec le vent qui les bouleverse, le jaune qui s’agite de partout et le vert qui tremble », et aussi : « j’ai été saisie par cette vision : une toile représentait des maisons de paysans dont les toits de chaume se confondaient avec les prés étagés, et dans le fond, les arbres en vert foncé se livraient à une valse tourmentée et pleine de complicité avec un ciel de nuages bleutés ».
Ce qui fait aussi la particularité heureuse du roman, c’est qu’il est entrecoupé de passages en italique qui sont pour la plupart « des articles de presse ou de correspondances reproduits dans leur orthographe d’origine (note de l’auteur) », imitant en cela une pratique récurrente initiée dans la trilogie romanesque USA de John Dos Passos, destinée à ancrer la fiction dans l’actualité de son époque, mais aussi instaurant un jeu d’échos entre les points de vue : point de vue subjectif de la narratrice, points de vue des journaux de l’époque, mais également ceux des frères Goncourt dans leur journal, ceux de Théo et de Vincent Van Gogh dans les lettres qu’ils échangent… Le contexte artistique est ainsi révélé : Le Charivari : « MM. Claude Monet et Cézanne, heureux de se produire, ont exposé le premier trente toiles, le second quatorze… Elles provoquent le rire et sont cependant lamentables. Elles dénotent la plus profonde ignorance du dessin, de la composition, du coloris. Quand les enfants s’amusent avec du papier, ils font mieux. »
A l’époque où se passe le récit, les critiques ne sont pas tendres envers les peintres impressionnistes (Cézanne, Monet, Pissaro…) et ignorent souverainement les artistes post-impressionnistes comme Van Gogh, qui est en train de peindre à la fin de sa vie, du 20 mai au 29 juillet 1890, jusqu’au jour même de sa mort, 75 toiles en 70 jours : Lettre de Vincent à Théo, 15 novembre 1878 : « L’art est si riche, si une personne peut seulement se souvenir de ce qu’elle a vu, elle ne manquera jamais d’alimenter ses pensées et ne sera plus vraiment seule, jamais seule ».
Ce roman de Jean-Michel Guenassia est un hymne à la puissance créatrice du peintre Van Gogh, méconnu de son vivant, et aujourd’hui l’un des plus grands artistes contemporains.
Sylvie Ferrando
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