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La vallée des papillons, Inger Christensen (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 28.11.22 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

La vallée des papillons, Inger Christensen, Poésie/Gallimard, septembre 2022, trad. Danois, Janine et Karl Poulsen, 304 pages, 10,80 €

La vallée des papillons, Inger Christensen (par Didier Ayres)

 

Je pense une lumière

Quelle rencontre avec la poète Inger Christensen dont une traduction récente m’a permis de découvrir le travail ! À vrai dire, je m’y suis engouffré comme si cette écriture était mienne ; je me suis accaparé son style et son étrangeté – ici prise dans le sens de Freud, pour qui c’était le surgissement de l’inconnu dans du connu. Ces poèmes, où parfois l’on butte sur des choses peu identifiées, viennent à nous par une force disons, chtonienne, une force lointaine, souterraine, une prosodie remarquable justement grâce à des altérités, des images qui se répètent, qui finissent par s’enfouir dans l’esprit du lecteur comme une forme de présence d’âme, une correspondance d’âme à âme.

De plus, l’écoute de cette écriture reste labile, meuble, pénétrée d’un sentiment d’exploration, une aventure en profondeur dans l’abysse si dur de la langue poétique. Et sa langue réussit à capter, à retrancher un hors champ des poèmes pour retenir de toutes petites choses, des « je-ne-sais-quoi et le presque-rien » susceptible de nous introduire dans un esprit, comme on le ferait d’une chambre étrange.

Je pense une lumière

le soleil est plus fort

lucide je comprends

la chute des corps

des flocons de lumière

tournoient sur eux-mêmes

 

Nous sommes ici dans une modernité où les éléments pensés et impensés du poème se construisent dans la lumière, laquelle éclaire indifféremment les réalités communes et les éclats, lumière éclatante qui désigne à la fois le sensé et l’insensé, le proche et le lointain. Inger Christensen somme la poésie d’apparaître, elle taille dans l’étoffe des poèmes avec un rai de lumière – qui la surprend peut-être, la dépasse, lui échappe.

Comme lecteur et comme le préconise Michaux en écrivant : je cherche un être à envahir – j’ai envahi le soleil de minuit, la glace, la précarité des êtres, le mystère aussi du monde boréal, tout autant que j’ai été imprégné d’une voix minérale, la voix de la poétesse.

CONSPIRATION

La baie est tout à fait bleue.

La victoire est absolument sûre.

Les pierres sont pierre.

Tu es parti.

 

Cette lecture, où des éléments d’une grande simplicité désignent des vérités métaphysiques capables de s’immiscer en soi par des formules empathiques, ne se fige pas, témoignant d’une grande ouverture stylistique et d’une inventivité qui ne nuit pas à une sorte de labilité. Cette recherche d’un style démontre que I. Christensen invente, garde avec elle le hors champ de son poème, pour mieux désigner celui du lecteur pour lequel le poème est aperçu, fenêtre sur l’esprit.

Nous sommes dans la solitude de l’autrice, où des thèmes reviennent comme un ostinato : la glace, la parole intérieure, l’angoisse, peut-être le néant, le corps beaucoup.

Finissons cette chronique avec la poétesse, et sa musique, avec ce poème in extenso :

MANIE

Il n’existe pas de pays

ni celui du sommeil

ni celui du chagrin

Je marche, je marche,

longe cette balustrade

balcon dans l’espace

sans maison ni jardin

Je compte seulement

les barreaux rouges

les compte jusqu’au dernier

Là, se trouve le pays de la mort

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.