La Toile du monde, Antonin Varenne (par Charles Duttine)
La Toile du monde, août 2018, 347 pages, 21,50 €
Ecrivain(s): Antonin Varenne Edition: Albin MichelUne américaine à Paris.
A quoi tient le charme d’un roman que l’on dit « historique » ? On peut proposer(d’une manière un peu sommaire) plusieurs réponses. Un tel roman peut nous restituer l’atmosphère d’une époque, nous décrire aussi des évènements précis qui ont marqué le cours de l’histoire, faire encore se mouvoir des personnages telles des ombres chinoises devant cette toile de fond et pourquoi pas nous montrer du doigt aussi quelques détails surprenants, propres à cette époque et dont nous n’avons pas idée, aujourd’hui.
On retrouve de tels « ingrédients » dans le roman d’Antonin Varenne, La Toile du monde, et la recette fonctionne…
Une époque : le roman se situe en 1900 à Paris, époque charnière s’il en est, celle de la construction du métro parisien (la ligne 1 « historique » dont on nous raconte les difficultés techniques et l’ambition prométhéenne), période également où la médecine est encore hasardeuse et tâtonnante (l’auteur nous fait assister, entre autres, à une séance ratée de transfusion sanguine). Période enfin d’espérances fébriles et où l’on sent peser toutes sortes de menaces à venir.
Un événement : 1900, c’est la date de l’exposition universelle dont le roman d’Antonin Varenne nous décrit le chantier. Paris se transforme alors en une gigantesque tour de Babel, avec ces pavillons en carton-pâte, ces vitrines orgueilleuses des différentes nations,ces spectacles folkloriques de toutes sortes dont celui du Pawnee Bill’s Show, mais aussi ces humiliants zoos humains où sont exhibés les représentants des colonies.
Et puis, ce roman s’organise autour d’un personnage féminin éminemment libre, une journaliste américaine du New-York Tribune, Aileen Bowman, originaire du Nevada et qui porte des pantalons et des bottes en cuir, souvenirs de son ranch natal. Détail saugrenu : pour pouvoir porter un tel accoutrement, il lui faut une autorisation préfectorale ! A défaut de caracoler sur un cheval, avec son pantalon, Alice Bowman enfourche une bicyclette et sillonne la capitale.
L’intérêt du roman est de nous faire suivre cette américaine à Paris et l’on découvre la ville à travers ses yeux, les lieux de labeur ou de plaisir et des personnages qui ont tous une curiosité secrète. Un peintre millionnaire qui ressemble au dandy des Esseintes de Huysmans, un ingénieur du métro, son épouse en apparence sage, une femme d’industriel qui n’est pas insensible à notre journaliste, une patronne de presse féministe, un « acteur » indien du Pawnee Bill’s show dont elle est parente, etc.).
La lecture en est plaisante jusqu’à un épisode inattendu, étonnant, surprenant, qu’on se gardera bien de raconter (comme on dit), histoire de maintenir un suspense et d’appâter la curiosité. Et étrangement, les événements vont conduire le lecteur vers un épilogue qu’il n’imaginait pas.
Autre particularité du roman, quelques articles d’Alice Bowman nous sont restitués. Paris se voit alors personnifiée sous sa plume en une étrange prostituée livrée à toutes les lubricités. Ainsi dans ce passage :
« On dit que je suis la putain des despotes, que j’ai accueilli dans mon lit plus de rois et d’empereurs que d’élus du peuple. Parce qu’on ne retient de mes amants que les plus fous, ceux qui m’offrent pour leur gloire des ponts, des dômes dorés et des palais, les pierres que l’Histoire laisse le plus longtemps debout. Mais je couche aussi avec les foules, affamées, délirantes, en fête ou en colère, les foules qui étripent d’autres foules… J’ai couché avec les barbares, les Vikings, les cohortes romaines et les bourreaux de la terreur. Je suis la putain de Versailles et le fumier de la révolte ».
Charles Duttine
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