La théorie de la lumière et de la matière (The Theory of Light and Matter), Andrew Porter (par Léon-Marc Levy)
La théorie de la lumière et de la matière, traduit de l'anglais (USA) par France Camus-Pichon. Mai 2011. 208 p. 20 €
Ecrivain(s): Andrew Porter Edition: L'Olivier (Seuil)Attention, joyau. Ne vous laissez pas piéger par ce titre à terrifier tout esprit non scientifique. Ce livre ne traite pas de physique. Encore un miracle que les Américains cachaient dans leur vivier de nouvellistes étincelants. Andrew Porter nous fait faire une sorte de road reader à travers les USA. Un collier de dix nouvelles inoubliables, scènes à la fois banales et effarantes de la vie quotidienne. C’est là le secret de Porter : il a trouvé la clé du mystère qui lie étroitement le banal et l’effarant. Chaque histoire est un morceau, quelques heures ou un moment unique, de la vie de quelques personnages. Rien d’exceptionnel dans les situations : deux amants nus sur le sol de leur salle de séjour, un fils et ses parents qui ne s’entendent pas, deux enfants qui jouent dans un jardin, un couple qui a adopté un jeune garçon … et doucement, sans en avoir l’air, la dissonance arrive dans l’harmonie apparente, mettant à nu, impitoyable, le réel niché derrière les illusions d’une vie.
« C’est la seule fois de ma vie où j’ai vu mon père en costume avec ma mère en robe du soir. Ils se tiennent par le bras, souriants, serrés l’un contre l’autre, légèrement courbés pour lutter contre le vent, se protégeant de quelque chose qu’ils ne voient pas encore. »
Cette phrase sonne comme le manifeste d’Andrew Porter dans ce recueil. Toute la magie de ses nouvelles repose sur cette capacité des hommes à vivre quand même, oublieux de ce qu’ils ne voient pas encore. Porter traque dans le présent les signes d’un futur inquiétant. Et dans le passé les traces d’un bonheur perdu.
« Un bref instant je me crus revenu à ces après-midi d’été où, enfants, nous attendions que notre père revienne du travail. Je revois le sourire d’Amy quand les phares de sa voiture apparaissaient au pied de la colline. Ca semblait la joie la plus simple du monde : ces phares, cette voiture, la certitude de savoir que la personne qu’on aimait le plus rentrait à la maison. »
Une des nouvelles fait une page. Elle s’intitule « Peau ». Deux jeunes amants nus.
« Je ferme les paupières, certain qu’ensuite, comme chaque soir, on s’endormira ensemble sur notre petit matelas au son du vent dans les palmiers, englués dans nos rêves, nous croyant incapables du moindre acte de cruauté. »
Glaçant.
Léon-Marc Levy
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