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La tentation du vide, Christos Chryssopoulos

Ecrit par Marc Ossorguine 31.03.17 dans La Une Livres, Actes Sud, Les Livres, Critiques, Bassin méditerranéen, Roman

Ecrivain(s): Christos Chryssopoulos Edition: Actes Sud

La tentation du vide, Christos Chryssopoulos

 

Le titre français de cet ancien livre du grec Christos Chryssopoulos, l’un de ses premiers, nous dit un peu plus que ne le fait le titre original, Shunyata, en nous soufflant un peu de l’énigme de ce mot pour le lecteur qui ne connaîtrait ni le bouddhisme ni le sanskrit.

Cela commence dans une bourgade perdue quelque part aux Etats-Unis, sur la côte ouest, celle du Pacifique. Wiliamstown. En 1951, à la veille du printemps, il ne se passe pas grand-chose dans cette ville si tranquille, héritière de pionniers somme toute ordinaire, et où les événements historiques les plus importants ne sont que des faits divers locaux. Une petite ville où le rêve américain est bien présent, nourri par la croissance de l’époque et la croyance en un progrès infini à venir, déjà en route. Mais voilà qu’au premier jour du printemps de cette année, la plus curieuse des épidémies frappe la ville : dans la nuit quatorze adolescents se sont donné la mort dans le secret de leurs chambres. Quatorze décès qui touchent onze familles. Pourquoi ? Quel mystère, quel divin châtiment peuvent-ils expliquer cette inconcevable coïncidence ?

« Tous les habitants étaient perdus, ce matin-là. Fous, hors d’eux. Et comme des cris déchirants se faisaient entendre de toute part, ils s’imaginèrent qu’un cataclysme était survenu, quelque chose d’indéchiffrable, une menace. Qui tuait leurs enfants ? »

Une explication est-elle seulement possible ? Quelle hypothèse faire et quelle enquête mener face à cette si improbable réalité ? Trouvera-t-on trace de quelque-chose dans la biographie de l’une des jeunes victimes, Betty Carter, 19 ans moins un mois au moment des faits ? La chronologie détaillée et incertaine de la vie d’Antonios Pearl, qui a croisé Betty Carter et peut-être d’autres de ces adolescents partis en cette première nuit de printemps, pourrait-elle mettre à jour la logique cachée qui lierait les quatorze disparitions ? Faudra-t-il examiner et confronter quelques photos retrouvées dans un album appartenant à Antonios Pearl, découvert neuf années après les faits, pour débusquer un début d’indice ? Il y a aussi cette longue lettre qu’Antonios Pearl a adressée à Betty… Une lettre où il la nomme énigmatiquement et affectueusement Shunyata…

Au bout de ce récit, il ne peut y avoir autre chose que des points de suspension, comme au bout de toute écriture et de toute lecture, sans doute. Points de suspension qui suspendent phrase, récit et pensée… pour faire place au silence.

Lecteurs rationnels, nous ne pouvons nous empêcher de chercher à comprendre, ou plutôt tenter de trouver une explication, quelle qu’elle fût. Le lieu est imaginaire. La date ne renvoie à rien de particulier si ce n’est une équinoxe de printemps, ce point d’équilibre entre le jour et la nuit. Nous sommes peut-être tentés de déchiffrer une supposée parabole ou allégorie à interpréter, à déchiffrer. Peut-être y en a-t-il une. Mais si cachée, si improbable, que c’est comme si elle n’était pas. Lecteur perdu et improbable commentateur, nous cherchons une clé… Et finissons, perplexe, par accepter que la clé de ce récit, c’est peut-être bien qu’il n’a pas de clé, à l’image du monde qui nous entoure, de la vie que nous vivons. Nous pensions lier un polar ou quelque chose de ce genre, mais l’énigme policière est devenue énigme métaphysique. Même pas énigme après tout. Juste une série de fragments d’une réalité illusoire, d’une illusion réelle… Peut-être. La tentation du vide et du doute silencieux est là. Irréductible.

Si lire c’est chercher à lier les mots et les histoires, entre eux, entre elles et à nous-mêmes, cette Tentation du vide nous entraîne irrésistiblement dans une singulière expérience. Peut-être qu’au bout du conte (sic !), l’écriture et la lecture sont-elles les véritables protagonistes du récit… Un livre qui n’est pas seulement le récit d’une énigme : il nous confronte à cette énigme et en devient lui-même une énigme…

 

Marc Ossorguine

 


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A propos de l'écrivain

Christos Chryssopoulos

Romancier, essayiste et traducteur, né en 1968, Christos Chryssopoulos est l’auteur de douze ouvrages, le dernier en date étant La Destruction du Parthénon (éd. Kastaniotis, 2010). Il est en Grèce l’un des écrivains les plus prolifiques et les plus originaux de sa génération. Ses livres, traduits en cinq langues, ont été distingués par des prix en Europe et aux Etats-Unis. Lauréat du prix de l’Académie d’Athènes en 2008, il enseigne au Centre national du livre grec et publie régulièrement des articles de critique et de théorie littéraire. Membre du Parlement culturel européen (ECP), il a fondé et dirige le festival littéraire Dasein, qui réunit tous les ans à Athènes écrivains et artistes de la scène internationale (http://daseinfest.blogspot.com). Pour ses romans parus chez Actes Sud, Christos Chryssopoulos a été reçu notamment au festival des littératures européennes de Cognac, au festival Est-Ouest de Die et au festival Passa Porta de Bruxelles (source éditeur).

 

A propos du rédacteur

Marc Ossorguine

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature espagnole (et hispanophone, notamment Argentine) et catalane, littératures d'Europe centrale (surtout tchèque et hongroise), Suisse, littératures caraïbéennes, littératures scandinaves et parfois extrême orient (Japon, Corée, Chine) - en général les littératures non-francophone (avec exception pour la Suisse)

Genres et/ou formes : roman, poésie, théâtre, nouvelles, noir et polar... et les inclassables!

Maisons d'édition plus particulièrement suivies : La Contre Allée, Quidam, Métailié, Agone, L'Age d'homme, Zulma, Viviane Hamy - dans l'ensemble, très curieux du travail des "petits" éditeurs

 

Né la même année que la Ve République, et impliqué depuis plus de vingt ans dans le travail social et la formation, j'écris assez régulièrement pour des revues professionnelles mais je n'ai jamais renié mes passions premières, la musique (classique et jazz surtout) et les livres et la langue, les langues. Les livres envahissent ma maison chaque jour un peu plus et le monde entier y est bienvenu, que ce soit sous la forme de romans, de poésies, de théâtre, d'essais, de BD… traduits ou en V.O., en français, en anglais, en espagnol ou en catalan… Mon plaisir depuis quelques temps, est de les partager au travers de blogs et de groupes de lecture.

Blog : filsdelectures.fr