La Tentation du repli, Sophie Braun, éditions du Mauconduit (par Fawaz Hussain)
La Tentation du repli, Sophie Braun, éditions du Mauconduit, mai 2021, 197 pages, 19 €
Bien qu’écrit par une psychanalyste, La Tentation du repli est un livre qui reste à portée de tous les lecteurs, les petits comme les grands. Si Sophie Braun cite souvent Carl Gustav Jung, le médecin psychiatre suisse né en 1875 et mort en 1961, c’est pour aborder plutôt son enfance malheureuse et ses difficultés avec le programme scolaire, surtout sa phobie des mathématiques. A travers des patients qu’elle rencontre dans son cabinet, des personnes comme Eliot qui se croit déserteur et sa mère qui le voit comme une personne atteinte, Élise qui n’a aucune estime pour sa propre personne et qui se dégoûte, Sophie Braun aborde un problème universel, celui du repli sur soi, la peur d’affronter un quotidien de plus en plus stressant.
La Tentation du repli se lit comme un vrai roman où l’on décèle aisément le schéma narratif malgré les chiffres bien inquiétants et le sous-titre : « Burn-out, fatigues chroniques, phobies sociales et scolaires, addictions aux jeux vidéo ». Du roman, ce livre, qui ne bascule jamais vers la pure théorie, reprend le schéma narratif : on sait que les formalistes distinguent une situation initiale, un élément déclencheur, des péripéties, un élément équilibrant, un dénouement. Il en va donc de même ici.
D’emblée, ce livre s’adresse à nous tous, les élèves, les étudiants, les employé(e)s de bureaux et les parents qui paniquent en voyant leurs enfants se replier sur eux-mêmes pour ruminer leur échec, souvent imaginaire, et broyer du noir. Qui parmi nous n’a pas tremblé devant la pression d’un monde de plus en plus hystérique ? Qui n’a pas chancelé sous le poids des responsabilités et des contraintes ? La tentation de plus en plus irrésistible de se réfugier sous la couette est la chose du monde la mieux partagée, hommes et femmes confondus, surtout en ces années de toutes les incertitudes et face à l’ampleur que prend la pandémie du Covid-19.
Après la situation initiale alarmante, apocalyptique dans certains cas, l’élément déclencheur débute quand les patients-protagonistes se décident à s’ouvrir à la psychanalyste qui met le doigt sur la plaie, là où ça fait mal. Les péripéties s’enchaînent et on découvre l’élément équilibrant, la lumière qui jaillit au bout du tunnel qui précède le dénouement, l’apaisement. Eliot développe un bon sentiment de puissance en se reliant à ses sensations et à ses émotions. Mila reprend confiance en elle. Élise retrouve des liens avec autrui et avec elle-même. On découvre « la dimension de la relation aux autres », la clé de la libération et donc la condition sine qua non du bien-être, du bien vivre ensemble. « En se transformant, ces représentations de nous-mêmes opèrent, avec l’ouverture du dialogue Moi-Soi, un changement dans le regard que l’on porte sur le monde ».
Le lecteur ne peut que se réjouir, à la fin, de voir les personnages reprendre goût à la vie, de se débarrasser de leurs phobies et d’affronter leurs peurs chroniques. On ne peut que compatir avec Mohammed, le jeune interne en médecine, un homme envahi par « le ressenti d’une injustice », ne se prénommant pas Didier, Jérôme ou Charles-François, et qui vient d’un ailleurs dépositaire d’une autre culture. C’est sûr que le monde ne répond jamais à toutes nos attentes, et le vent, selon un adage familier à l’arabe, ne souffle jamais selon les souhaits des voiliers.
Dans « Vers des révoltes joyeuses », le dernier volet de cette descente dans la psyché humaine, on prend conscience que le monde peut devenir meilleur, mais à condition d’oser, de frapper à la bonne porte pour solliciter l’aide de la personne adéquate. Dans L’Homme révolté, publié en 1951, Albert Camus se penche longuement sur la différence entre la révolte et la révolution. Il opte pour la révolte tout en rejetant la révolution et ses conséquences souvent désastreuses. Les cabossés de la vie comme Eliot, Élise, Mila et les autres comme Ahmed, étiqueté « addict aux jeux vidéo », voient le bout du tunnel. Ils s’en sortent bien et découvrent « La beauté de l’humain », cette beauté qui est la complexité de tout un chacun, sa force de vie, sa capacité de transformation.
Dans La Tentation du repli, on se rend compte de l’importance de la passion et de l’imaginaire pour vivre en harmonie avec soi et avec les autres. Il s’agit de deux béquilles qui étaient l’être pour l’aider à supporter le poids de la vie. L’imaginaire n’est plus une fuite en avant, mais un lieu de resourcement et de créativité.
Le message de La Tentation du repli est clair : « La principale bataille consiste à se dégager de ces angoisses collectives et familiales (autant que possible) et d’avoir confiance dans ses propres ressources pour oser prendre des initiatives ». Je laisse aux lecteurs et aux lectrices le temps de découvrir la métaphore du canari que les mineurs descendaient autrefois dans les mines et la beauté de ce livre que j’ai tant aimé.
Fawaz Hussain
Sophie Braun, née en 1961, est psychanalyste et psychothérapeute, et membre de la Société Française de Psychologie Analytique (SFPA) et de l’Association Internationale de Psychologie appliquée. Elle exerce à Montélimar et à Paris. La Tentation du repli est son deuxième livre.
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