La Styx Croisières Cie (XI) Novembre 2019 (par Michel Host)
Ère Vincent Lambert, An I
Humain, citoyen le plus vulnérable, la République française, la médecine, la banque et la magistrature réunies, t’ayant baptisé Légume, te tueront.
« Père Ubu : … et puis ils ont tué le pauvre Lascy !
Mère Ubu : Ça m’est bien égal !
Père Ubu : Oh ! mais tout de même, arrive ici, charogne ! Mets-toi à genoux devant ton maître (il l’empoigne et la jette à genoux), tu vas subir le dernier supplice.
Mère Ubu : Ho, ho, monsieur Ubu !
Père Ubu : Oh ! oh ! Oh ! Après, as-tu fini ? Moi je commence : torsion du nez, arrachement des cheveux, pénétration du petit bout de bois dans les oneilles, extraction de la cervelle par les talons, lacération du postérieur, suppression partielle ou même totale de ma moelle épinière (si au moins ça pouvait lui ôter les épines du caractère) sans oublier l’ouverture de la vessie natatoire et finalement la grande décollation renouvelée de saint Jean-Baptiste, le tout tiré des très saintes Écritures, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, mis en ordre, corrigé et perfectionné par l’ici présent Maître des Finances ! Ça te va-t-il, andouille ? (Il la déchire).
Mère Ubu : Grâce, monsieur Ubu ! »
Alfred Jarry, Ubu roi, Acte V, Sc. II
Jules de Montalenvers de Phrysac, noté dans le Livre de mes Mémoires
Lµ-1. Où Alfred Jarry nous offre le paradigme de l’heureuse entente conjugale (par antiphrase, précisons, c’est indispensable de nos jours). À la mode d’autrefois, cela va de soi, laquelle se caractérise par l’indifférence au crime, l’insulte humiliante, un sens aigu de la hiérarchie, l’horreur des supplices et châtiments (qui explique l’attention particulière que de tout temps le public a réservé à ce genre de manifestation) et aussi leur drôlerie aussi telle qu’on y admettait aussi les enfants, l’infinie diversité des organes internes propres à l’être humain (d’où l’essor de la chirurgie, des autopsies et de l’assassinat par armes blanches, et enfin le fondement religieux profond de ces divertissements, calembredaines et plaisanteries. Que le lecteur sache aussi que cette scène d’une cruauté insoutenable se déroule au fond d’une grotte, en l’absence de M. Platon.
µ-2. Pilosités et autres paysages. Entendus ce dernier dimanche dans l’émission Questions d’Islam (France Culture), l’islamologue Ghaleb Bencheikh et un imâm qui ne m’a pas semblé des plus bornés, s’entretenir du port du voile par les femmes musulmanes grand teint ou converties. La question occupe actuellement les médias lorsqu’ils n’ont à peu près rien à nous dire. Chacun dans cette émission s’est efforcé de relativiser l’affaire. Il est vrai que dans mes souvenirs du Coran, il n’est question que de « tenue décente » et de pudeur (*) à ce propos. Notre islamologue, décrivant les faits, nous dit que pour les musulmans les plus à cheval sur le faux dogme, il n’est pas question que puisse être aperçue une « touffe » de la chevelure de la femme, ce que permet le voile s’il est mal disposé. « Touffe » fut le mot utilisé. Touffe ? Or je ne connais, et ne dois pas être le seul, que trois touffes propres au corps des femmes : deux, belles (le naturel est à mon sens beau et divin), qu’elles portent aux aisselles, et une troisième, buisson touffu en effet, ardent parfois, petit bois fleuri et odorant, autre charme divin qui désigne et cache à la fois le pubis, fait une margelle à la vulve et à ses secrets. Lorsque je vois se dérouler et tomber une chevelure de femme, tel Baudelaire je ne pense qu’à cette beauté ornant un corps émouvant. C’est qu’une mèche de cheveux suggère instantanément le sexe, sa pilosité, sa couleur et sans doute tout ce que contient cet organe méprisé et fascinant à la fois, ce lieu de l’amour charnel et des flux menstruels redoutés (Allah sait pourquoi ou n’en sait rien du tout !), occasion de pensées et visions condamnables et désirables à la fois (**). C’est un sentiment d’Orient, mais aussi d’Occident. Le phallus, dès lors incontrôlable, brouille sans doute toute pensée raisonnable chez certains hommes quelles que soient leurs croyances. Phobie de la réalité propre aux esprits faibles et souventes fois cadenassés dans la religion qui les a corrompus. En témoigne l’absurde aversion que suscita le célèbre tableau de Courbet.
(*) « Dis aux croyantes / de baisser leurs regards, d’être chastes / de ne montrer que l’extérieur de leurs atours, de rabattre leurs voiles sur leurs poitrines / de ne montrer leurs atours qu’à leurs époux… » (Sourate XXIV, La Lumière, v.31). « Nul reproche à faire aux femmes du Prophète / si elles paraissent dévoilées / devant leurs pères, leurs fils, leurs frères, / les fils de leurs frères / les fils de leurs sœurs / et devant leurs femmes et leurs propres esclaves ». « Ô Prophète ! / Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants / de se couvrir de leurs voiles : / c’est pour elles le meilleur moyen / de se faire connaître / et de ne pas être offensées » (Sourate XXXIII, Les factions, v.55 et v.59).
(**) « Tenez-vous à l’écart des femmes / durant leur menstruation ; / ne les approchez pas, tant qu’elles ne sont pas pures », Sourate II, La Vache, v. 232., traduction Denise Masson, In Folio Classique.
µ-3. Notre terre est si triste, si tristement triste et prévisible, avec ses crimes et ses combats au sang et à mort, cette impossibilité humaine d’apprendre quoi que ce soit, à négocier par exemple au lieu de s’entretuer, à disposer intelligemment de l’argent plutôt qu’à thésauriser, à se rassurer par la richesse et la vision des cohortes de miséreux qui nous envient, à nous tenir chaque matin informés des empoisonnements et destructions commis sur la planète, à la mort répandue sur les animaux, les plantes et les hommes comme si l’on pouvait la compter au nombre des bienfaits, si triste tout cela que je m’étais juré de consacrer ce mois de novembre à la poésie, aux choses belles qui nous restent, à l’élévation humaine. Ignorer ces maux qui me désespèrent. Je me souviens du conseil d’Épictète que je cite de mémoire : « Tout ce sur quoi tu n’as pas le pouvoir d’agir, ce qui ne dépend pas de toi, laisse-le, ne t’en occupe pas, passe à autre chose ».
Sage conseil, certes, mais moralement peu satisfaisant. Que fais-je, en effet, quand au fond du fond du trou de mon scandale, ridicule, je gesticule, m’énerve sans réduire le mal en aucune façon ? Je sais : j’écris, je hurle, je dénonce. C’est peu mais ce n’est pas rien. Je dis ma foi en la puissance de l’écrit, donc en ce que j’estime être le mieux ou le bien engendré par « ma » raison. Cependant, ma raison a-t-elle quelque chose de « la » raison. Et puis, la raison commune (partagée par les majorités) n’est-elle pas une sorte de folie, d’accommodement sans fin ?
Pourrai-je tenir cette promesse et délaisser cette actualité misérable, indigne de l’homme, mortifère, oublier tout cela que je n’ai cessé d’appeler « destruction de notre Jardin » ? Je vais essayer. Tout de même essayer, quoique les grandes tribunes des grands médias me soient ordinairement fermées. Qu’importe, j’ai La Cause littéraire, amie fidèle, écho assuré et entièrement libre.
Que fais-je assis dans mon scandale ? J’écris. Je crie. Cela quelle que soit mon audience, le public. Si je vois une femme attaquée par un violeur, je me porte à son secours. Je frappe celui qui la maltraite. J’ai hésité deux secondes, cependant, car outre ma fragilité personnelle, si je frappe un peu fort, s’il y a du sang, selon la loi française actuelle c’est moi qui serai emmené par la gendarmerie, accusé de « réponse disproportionnée » à la bien naturelle attaque d’un être innocent tourmenté par sa sexualité frustrée, car, et c’est bien connu, aujourd’hui une femme n’est qu’une femme, soit une rien-du-tout, et pour le dire comme le pense le violeur, son exutoire, son vide-c… sa chose.
Il est beaucoup question d’identité, ces temps-ci, chez les penseurs de tout poil. Je reconnais l’être humain en ce qu’il a une tête, quatre membres, un sexe, et qu’il parle, ce qui suppose qu’une pensée le traverse de temps à autre. Je le reconnais en ce qu’il ne lève pas sur moi son sabre ou son coupe-coupe avant que le lui aie seulement adressé la parole. En ce que si je l’invite chez moi il ne massacre pas ma famille parce que nous ne salons pas notre brouet de la même façon que lui, en ce qu’il trouve insupportable que je croie en un dieu qui n’est pas le sien ou que je ne croie en aucun dieu. Nous pouvons alors ouvrir la conversation. Recommencer la civilisation. La couleur différente de sa peau, ce n’est pas cela qui me le rend antipathique ou inhumain. C’est sa capacité, répondant à la mienne, de m’écouter puis de me répondre. Son aptitude à la conversation. Au débat. Notre volonté de ne pas nous sauter à la gorge. Beaucoup d’animaux, la plupart à dire vrai, sans accéder au rang d’humains viennent jusqu’à moi, à nous, en amis, avec l’émouvante confiance des êtres innocents. S’ils nous fuient, c’est que certains d’entre nous les ont maltraités ou massacrés. Nous recevons alors ce que nous méritons. Les fruits de la peur.
Tout cela semble aller de soi. Naturellement, c’est le mot juste !
La pensée de ce monde, malheureusement le nôtre sans qu’il nous soit possible de l’améliorer semble-t-il, me donne la nausée, d’intenses névralgies. Je me sens dans une prison et me levant chaque matin j’ai une pierre sur le plexus avec l’impossibilité de sourire. Je suis malade à dire vrai, malade de ce monde. Je sais ce que j’ai fait de ma vie, assez peu, je le regrette, mais un petit peu tout de même… Il arrive que j’aie envie de mourir. De n’être plus là ni nulle part. Le suicide ? Je le crois indigne, signe de lâcheté, mais aussi sans autre raison que l’égoïsme propre à chacun, à moins qu’il n’efface des souffrances intolérables, d’ignominieuses injustices. Et ne plus penser à rien, et donc n’être rien, me rendrait fou de terreur si je m’attardais à cette idée. Fait comme un rat dans une trappe fermée aux deux bouts.
Descartes, n’aimait pas trop le monde animal. Il le voyait en mécanicien. C’est incompréhensible, même chez un philosophe encore éloigné des Lumières… Eh bien, Descartes n’a pas écrit : « Je pense donc je suis un homme », mais seulement, comme on sait : « Je pense, donc je suis ». Il ne manquait donc pas de finesse. Être, c’est déjà quelque chose, n’est-ce pas ? Pourquoi, en vue de quelle démonstration, Descartes estimait-il que l’animal ne pense ni ne souffre ? Que savait-il de ce qui agite le cerveau du lion, du renard, du serpent, de la gazelle… ? L’animal, par exemple, sait-il qu’il va mourir ? Est-il tout entier déterminé par sa condition animale ? La plupart des humains répondent oui aux deux questions. Le fait est qu’ils n’en savent rien. Ils en préjugent seulement.
Les questions gagnent à être simples et directes. Elles posent clairement la difficulté. Viennent ensuite les réponses, qui sont multiples, souvent complexes, voire incompréhensibles à force de tours et de détours. J’ignore si les animaux savent qu’ils vont mourir. J’ai la conviction que nos trois chattes, et même l’insouciant Snijok qui vient de trépasser, le savaient. Ce qui ne les empêchait pas de vivre. Il est heureux que nos bêtes aient une vie plus courte que la nôtre : que deviendraient-elles après nous ? Notre tristesse est cruelle. Nous vieillissons. Nous n’aurons plus de petits compagnons auprès de nous.
µ-4. La « rencontre », lors d’une émission de télévision récente (d’Alain Finkielkraut et de Mme de Haas, militante issue de la machine à tuer épouses et petites amies, en lutte légitime contre l’accumulation actuelle des « féminicides »), s’est terminée dans une cacophonie sans égale. Fatigué de l’accusation d’être dans le camp des violeurs-tueurs parce que refusant d’assimiler la galanterie et la séduction au viol, A. Finkielkraut, pour se faire comprendre des dames présentes et de Mme Caroline de Haas singulièrement, s’est lancé dans une antiphrase explosive. Rappelons sa définition selon le Petit Robert : Antiphrase. Manière d’employer un mot, une locution dans un sens contraire au sens véritable, par ironie ou euphémisme. Ironie généralement très perceptible dans le ton et les mimiques du locuteur. Alain Finkielkraut s’est donc lancé dans une tirade de théâtre de boulevard, avec un brin de fureur cependant en raison de l’accusation dont il était victime, clamant : « Je dis aux hommes : violez, violez les femmes ! D’ailleurs je viole la mienne tous les soirs ! ». C’est tellement énorme que nul ne pouvait s’y tromper, mais ce fut aussitôt l’explosion de la rage militante ! Mme de Haas l’accuse aussitôt de « banaliser le viol conjugal » ! Elle lui reproche sans même en avoir conscience de parfaitement comprendre ce qu’elle dénonce (le viol) et qu’il dénonce lui aussi par son ironie furieuse.
Il est vrai que les écoles de la République n’apprennent plus grand-chose aux enfants, ni l’étymologie, ni la syntaxe, ni la morphologie, ni l’art de s’exprimer correctement et avec précision, toutes tentatives dénoncées depuis 1968 comme violation du droit à ne rien savoir, à ne pas se frotter aux difficultés des diverses disciplines enseignées, à éviter toute frustration née d’échecs non surmontés. Il est donc évident que Mme de Haas et ses troupes se situent hors du champ de l’ironie et du second degré, comme on dit. Il leur reste l’impuissance à manier leur propre langue, l’invective, les déchaînements de colères que je n’ose dire hystériques. Une fureur qui leur garantit de n’être pas comprises et de rebuter jusqu’aux hommes de la meilleure bonne volonté. Quoique ami sans modération et presque exclusif des femmes, il m’arrive d’entendre certaines harengères lancer de telles dénonciations de la gent masculine, que je me demande à quelle époque remonte le dernier viol dont je me serais rendu coupable, ma dernière insulte envers une femme, mon dernier geste obscène à son égard. Il semblerait que comme bien des accusés de pareils méfaits, je les ai chassés de ma mémoire.
Dernier mots de Mme de Haas revenue au bon sens : « A. Finkielkraut ne se rend pas compte de l’impact de sa parole publique, car les mots ont un pouvoir, blessent ou réparent. Les victimes vont se sentir blessées et les violeurs s’en trouvent légitimés ». Elle aurait davantage raison si elle savait débattre courtoisement (quoiqu’un viol n’ait rien de courtois, reconnaissons-le !), si elle savait mieux sa langue maternelle, si ses professeurs avaient pris la peine de la lui apprendre, si les autorités académiques leur avaient recommandé de l’enseigner dans ses beautés et ses difficultés, si de recevoir de 98% à 99% des candidats au baccalauréat n’était pas une absurdité ou une duperie.
µ-5. Ils, elles ont dit… écrit…
« L’art majeur, c’est l’art de vivre » (La mère de Patrick Sébastien).
Sur le rugby, intarissable source de plaisir : « Avant, quand je demandais à un joueur : Combien t’as gagné ? Il me répondait : 16 à 3. Aujourd’hui, il me balance : 10.000 euros », Patrick Sébastien (Bref commentaire : à la beauté du geste s’est substituée la beauté du fric !). Puisqu’il est question un instant de rugby, j’ai imaginé cette plaisanterie d’un bon joueur : « Pour mes adversaires, je serai implacable ! »
Lexique de l’écrivain-VIII
Œuvre (l’) : Mon ambition avouée est de laisser une œuvre. Pas une œuvre à la Balzac, liée et reliée d’une étape à la suivante par le fil d’une galerie humaine tragi-comique. Je m’ennuierais trop à l’écrire. Et je ne saurais pas l’écrire, encore que je prenne un immense plaisir à la lire. Mon œuvre, si elle advient, devrait être quelque chose à la Jonathan Swift mêlée de Marcel Aymé, de Jouhandeau avec une touche de James Joyce. C’est assez de prétention, n’est-ce pas ? Je ne parle pas de chefs-d’œuvre dans tout cela, n’ayant pas cette ambition-là. Des romans, des nouvelles lisibles, qui tiennent et retiennent leur lecteur. Des poèmes aussi, qui tentent de dire les tréfonds de mon âme et l’âme de ce monde aimé et détesté. Inquiétudes et admirations.
Organisation : J’en ai peu, pour ne pas dire aucune. C’est un handicap. On boite, on oscille. Divers projets exercent leur tentation, on ne sait plus lequel choisir. On balance (mon signe zodiacal). On souffre. On se jette dans l’un : ce n’est pas le bon. On finit par le trouver. On n’y croit qu’à demi. Bref, on souffre encore. Parfois, on n’a plus besoin d’organisation : le cheval galope de lui-même, il sait même où il va, mieux et plus vite que nous. Le fait est rare, mais il arrive que l’on enfourche ce « bon cheval », celui qui va vite et loin. Vis-à-vis des éditeurs, le défaut d’organisation (relations suivies, etc.) est une infirmité. Être éminemment « social » est par eux exigé de l’écrivain. Exigé aussi de leur donner du grain à moudre, un « bon » texte par exemple. Mais qu’est-ce qu’un bon texte pour eux, pour vous ? Pour eux, ce qui plaira au public et se vendra bien. Pour vous, ce qui vous plaît et à vous seul. Je n’ai rien d’un être social, bien qu’il m’arrive d’écrire de bons textes. Je dois manquer de modestie, qu’on me pardonne.
Organisme : Ou constitution de l’écrivain. Il est mieux qu’elle soit irréprochable. Bon pied bon œil et santé insubmersible ! Cela autorise tous les excès. Comme ma santé laisse beaucoup à désirer, je ne manque pas de me livrer à ces excès dès que je ne suis plus dans le collimateur des médecins. Bilan de santé : mes vertèbres lombaires et ni l’une ni l’autre de mes hanches ne sont d’accord avec le régime que je leur prescris. Je marche avec une canne, plutôt mécontent de moi, de la canne et d’Épictète. Un jour le déambulateur ? Je frémis.
Orgueil : Le mien, je le dissimule comme je peux. Mes contemporains le prendraient pour sotte vanité ou sentiment d’une supériorité sur eux. Le mien est tel qu’il ne tolère ni bassesse ni accommodement. Tel qu’il ne supporte pas que je me voie dans un miroir sans chapeau et sans gants moraux.
Originalité : Je ne sais ce que c’est. Ce doit être sans nous ou malgré nous, ou ne pas être. Il m’a toujours semblé que vouloir être original est le meilleur chemin pour ne l’être pas.
Peinture et musique : Je les utilise sans honte comme éléments décoratifs pour mes murs et mes mots. Je les verrais volontiers en tant qu’en-deçà des mots, leur négation ou presque. La musique, que j’utilise aussi (très modestement, car je n’ai que des connaissances minimales en la matière), je l’entends comme un au-delà des mots. Elle peut m’émouvoir, je n’en écris qu’avec émotion, pour aller aux émotions plutôt qu’au pathos.
Poésie : Elle est le « je fais » – le Пoίεω – par essence. Le commencement, le milieu et la fin. Elle est Tout. Je m’y exerce dans un atelier séparé, non pour la séparer, mais parce qu’elle me sépare, me retranche et me relie à la fois. À quoi ? À la vie ? Travailler ce Tout exige solitude, aptitude et des nerfs de pilote d’aéronef interstellaire. Une humeur singulière, qui ne se manifeste pas à toutes les heures du jour. Je n’ai jamais cru aux poètes versifiant et composant leurs poèmes comme Héphaïstos, qui dès potron-minet retournait dans la braise les fers des chevaux du soleil. Poètes se payant au mètre linéaire, poètes à la tâche attachés ! J’ai poursuivi longtemps la bête dans les halliers, les forêts, tentant de capturer son odeur et sa forme ultime. Je fus assez content d’être parvenu (avec l’aide de F. Tristan) à cette mienne définition : « Elle est mutation, traduction dans la langue maternelle, selon des cadences très intimes, de la langue sourcière mal connue, celle des émotions et des intuitions. Il arrive que la prose se mue en poème. J’adhère à cet avis de Frederick Tristan : “La poésie n’est jamais fictive” » (1).
La poésie est une exhortation d’un autre ordre.
Si je priais, je dirais que c’est la prière même, dans son état premier, quand on ignorait Dieu et les dieux pour honorer une source, un rocher.
Si je chantais, je dirais que c’est l’aria de La reine de la nuit.
Si je sculptais, je dirais que c’est la Victoire de Samothrace.
Si je dirigeais un orchestre, je dirais que c’est Le Sacre du printemps, suivi de La Jeune fille et la mort.
Si je peignais, ce seraient deux seins qui eussent ému Corot.
Si je pleurais, ce serait sur l’amour qui blessa et fit mourir Ariane ma sœur.
Michel Host
(1) Cf. Frédérick Tristan et J. L. Moreau, Le Retournement du gant
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