La Styx Croisières Cie (VI) Juin 2019, par Michel Host
[Ubu est couronné. La famille royale polonaise est exterminée, sauf Bougrelas et la Reine sa mère. Le peuple a envahi le palais. La cour du palais est pleine de Peuple]
Peuple : – Voilà le roi ! Vive le roi ! hurrah !
Père Ubu, jetant de l’or : – Tenez, voilà pour vous. Ça ne m’amusait guère de vous donner de l’argent, mais vous savez, c’est la Mère Ubu qui a voulu. Au moins, promettez-moi de bien payer les impôts.
Tous : – Oui, oui !
Capitaine Bordure : – Voyez, Mère Ubu, s’ils se disputent cet or. Quelle bataille.
Mère Ubu : – Il est vrai que c’est horrible ! Pouah ! En voilà un qui a le crâne fendu.
Alfred Jarry, Ubu Roi, Acte II, Sc. VII
Jules de Montalenvers de Phrysac, noté dans le Livre de mes Mémoires
Lµ-1. Où Alfred Jarry nous fait voir combien les puissants, et plus encore les gouvernants nouveaux riches et usurpateurs, sont avides d’argent. Combien aussi le Peuple, à leurs pieds, outre versatile, est d’une égale cupidité et méprisé pour cela par ses maîtres du moment. Il démonte aussi ce système qui consiste à faire croire au Peuple que quelques minces libéralités combleront tous ses vœux sans l’avertir que le paiement de l’impôt et de taxes opportunément imaginées finiront de le ruiner après l’avoir divisé.
µ-2. Affaire Vincent Lambert : dans notre société, marqueur de notre degré de civilisation et de notre identité, comme l’ADN et les « marqueurs » biologiques, signent, pour chaque être humain, sa qualité de personne qu’on ne confondra avec aucune autre. Cette affaire tragique et terrifiante est remontée sur la scène française entre deux événements récents, l’étouffement par l’État de la révolte des Gilets Jaunes et les élections européennes. Macron Ier s’est comporté en Ponce-Pilate, l’affaire évoluant entre famille, médecine et divers organes de justice, en déclarant qu’il n’avait pas à s’en mêler.
Les faits, connus de tous, remontent à l’année 2008. Vincent Lambert, jeune infirmier-sauveteur, victime d’un grave accident routier, n’en meurt pas mais est atteint de tétraplégie et d’un coma dont il n’est toujours pas sorti à ce jour. Il est aujourd’hui en soins ininterrompus dans une structure hospitalière de Reims. Ses parents et sa jeune épouse (celle-ci durant 5 années) l’entourent admirablement de soins et d’amour. Il est bientôt question, dans les administrations françaises et surtout l’administration des hôpitaux, de « traitements déraisonnables » qu’il conviendrait d’interrompre. L’euthanasie, fût-elle acceptée par celui qui la souhaiterait lors de sa « fin de vie », n’est pas légalement reconnue en ce pays (ce qui est peut-être heureux ou malheureux, autre problématique). Si l’on décide cet arrêt des soins (qui ne sont sans doute pas des « traitements », Vincent, déshydraté, dénutri mourra dans des souffrances terribles par dysfonctionnements successifs de ses organes vitaux. Cela peut durer jusqu’à 3 semaines. Une torture moyenâgeuse ! Une condamnation à mort ?
L’épouse de Vincent et le beau-frère de celui-ci refusent que l’on prolonge les soins. Vincent aurait déclaré autrefois qu’il ne souhaitait pas que sa vie fût prolongée s’il tombait dans un coma irréversible et un grand handicap. C’était autrefois et il n’y a rien eu d’écrit par Vincent !
L’épouse, après 5 années de présence auprès de Vincent, désespère et désire, on ne peut plus légitimement, de « refaire » sa vie ; les parents de Vincent, eux, veulent ardemment que leur fils soit maintenu en vie, même si elle est qualifiée de « végétative ». Sa mère soutient, contre les avis médicaux, qu’elle a perçu chez son fils des signes d’une activité de la conscience, d’une affectivité, donc d’une possibilité pour lui de retour à la pleine conscience. Ne pas croire une mère, c’est lui dénier ses raisons, ses intuitions de mère et de femme, c’est une vilenie sans pareille, un irrespect fondamental.
Une famille cassée, poussée à entretenir des haines inexpiables.
La Justice entre en jeu : un médecin déclare qu’il faut « cesser les soins » ? Un autre qu’il faut les poursuivre. Un troisième qu’il les arrêtera un lundi matin, qu’on le veuille ou non. Les tribunaux et cours de justice (dont le Comité international des droits de l’Homme) inclinent dans un sens, puis dans l’autre… Confusion et cacophonie ! Morale naturelle et morale républicaine sont muettes, devenues servantes de l’opinion. Au stade d’aujourd’hui nous sommes dans l’expectative et l’indécision.
Pour ma part, je suis de parti de la vie et non de la mort. Je me souviens du premier précepte d’Hippocrate aux médecins : « Primum non nocere. Avant tout, ne pas nuire ».
Mes interrogations sans doute naïves :
– De quoi se mêlera donc un chef d’Etat s’il ne se préoccupe pas du sort du citoyen le plus vulnérable ?
– Vincent Lambert est-il, à cette heure, « agonisant en fin de vie » ou un blessé gravement handicapé dont il faut s’occuper avec amour et compassion ?
– Que dois-je penser de cet argument fréquemment et sincèrement avancé de ce que la vie que mène Vincent « n’est pas une vie » ?
– Tous les comas très longs, et même de plusieurs années, sont-ils irréversibles ? Début de réponse : non. Les annales médicales de différents pays démontrent que certains et certaines, rares il est vrai, en « reviennent » et retrouvent la conscience avec diverses facultés !
– Le terme de « végétatif » appliqué à un être humain n’est-il pas le signe clair d’un désir ou d’une volonté de déshumaniser cet être ? Le vouloir l’arracher de la terre comme un légume atteint de maladie et inconsommable ?
– La famille de Vincent est chrétienne et catholique, ce que ne lui interdit pas encore la loi. La plupart des « progressistes » de ce pays, fils de la raison et des Lumières, de l’individualisme et du plaisir sans entraves, ceux que je vois en réducteurs de têtes (mes « Jivaro-progressistes »), ne voulant rien entendre de la douleur et de la mort, ni aucun argument de ceux qui s’opposent à eux, se sont jetés sur cette famille pour la salir, la piétiner, la condamner en la qualifiant de « réactionnaire », le pire des forfaits qu’ils puissent concevoir. Une ignominie en soi et au vu des circonstances.
Ai-je tort de penser que le parti des Lumières est devenu le parti de l’obscurité et d’un nouvel obscurantisme ?
Ai-je tort d’être convaincu que l’arrêt des soins à Vincent Lambert conduira par le plus court chemin cette société à légiférer sur l’euthanasie médicalement justifiée – pour l’euthanasie volontaire, la loi Leonetti est déjà « passée » –, puis sur l’euthanasie règlementaire pour les infirmes et les handicapés, puis pour le très très grand âge (110 ans et plus), puis pour les gens après 5 ou 10 années de leur retraite (personnes inutiles et déraisonnablement coûteuses à nourrir, soigner et entretenir)… ? Le « progressisme » périra alors, parce que parvenu au terme de son évolution dans l’absolu matérialisme ?
Quant au statut de l’épouse de Vincent, pourquoi nos députés qui légifèrent à tout propos ne prévoiraient-ils pas un cadre administratif nouveau pour les personnes mariées dont on sait pertinemment que le conjoint ne sera plus en état de satisfaire au devoir conjugal ?
Mes pensées ont-elles tort d’aller à ces précurseurs de la modernité, MM. Hitler, Staline, Mao Tsé-toung, Pol-Pot, et à leurs successeurs encore à naître ?
Nouvelles dernières. Ce trois juillet, certaine cour européenne de justice (justice ?), dernier recours judiciaire dit-on, a décidé que Vincent Lambert ne devait plus être alimenté ni hydraté. C’est un arrêt de mort. Euthanasie, ou la mort heureuse ? J’en doute. Assassinat masqué ? Oui, selon moi. Ce au nom de la science médicale, de sa technologie et de la raison ! Et qui plus est du respect de la dignité humaine ! Mais pourquoi veut-on ignorer que c’est l’indignité de notre civilisation qui est ici en cause. Certain docteur S., acharné à faire mourir Vincent depuis des semaines déjà, avait engagé le processus dès la veille de l’arrêt judiciaire : garderons-nous souvenir de sa personne sous le nom de Docteur S. ? Moi, non !
J’ai honte d’appartenir à cette société. A cette inhumanité. Je n’en suis plus. Honte d’être homme dans une telle prévisibilité de la mort bientôt annoncée pour les grands handicapés, les grands vieillards, les personnes affligées de comas déclarés irréversibles. Elles seraient actuellement 1700 en France ? Pour tous ceux qui furent présentés il y a peu comme les gens « qui ne sont rien » ! Après tout, on jette bien à la poubelle des embryons par milliers ! La machine de mort tourne déjà à plein régime.
µ-3. La Macronie « en marche » a absorbé telle un buvard le socialisme français, moins bavard ces temps-ci, certes, mais toujours moralisateur ; elle dissout actuellement les droites traditionnelles incapables de se rénover ; en même temps, elle attaque le socle populiste à petits coups de dents et de « vérités » calomnieuses. Ce socle droitier, elle ne tient pas à le désagréger, il lui sera encore utile en tant qu’épouvantail électoral comme il le fut pour les mitterrandistes et les équipes gouvernementales suivantes. Quant à l’extrême gauche, celle de M. Mélenchon, elle se désagrège d’elle-même. Seuls les dits écologistes tirent momentanément profit de cette situation brouillée où le parti au pouvoir est un cétacé au ventre mou prêt à engloutir tout ce qui passe à sa portée, cela jusqu’à ce qu’on prenne conscience du haut degré d’insuffisance, sinon de nuisance, de ses affidés. Ce ventre est trop rempli. Par diarrhée ou vomissement, il devra se dégonfler. De ce ventre tentateur et flatulent comme celui d’un bouddha de plâtre enduit de peinture dorée sortira quelque crotte innommable ou une catastrophe encore inimaginable. Le parti obèse de la République en marche sera certainement le dissolvant politique le plus efficace de notre époque. Tiens, me voici devenu prophète en mon pays. Cela ne me ressemble pas. Suis-je malade moi aussi ?
µ-4. Pour en finir avec les menteurs vrais. M. Édouard Philippe, premier ministre a nagé et surnagé, tel un bouchon, parmi les vagues déchaînées des marées de Gilets Jaunes*. Il permet au président de souffler un instant, notamment en « lançant l’Acte II du quinquennat » (Le M) devant les députés, c’est-à-dire son « discours de politique générale ». Trois mots qui en disent long. Nous attendent deux bonnes années encore de promesses miraculeuses intenables, de communication de directives inapplicables, de règlementations impayables, au sens propre, car il n’est plus un sou dans les caisses publiques. On les trouvera dans les poches des derniers millionnaires, et des retraités impuissants à se défendre. J’ai écouté M. Philippe : il apporte au pays le vide et le vent des contestations à venir. Acte II ! Acte II ! C’est bien de théâtre qu’il s’agit, et de tragi-comédie. Et les Français vont toujours voter, remplissant scrupuleusement leur « devoir électoral – Que peuvent-ils faire de mieux ? clament les idéalistes, les naïfs et les cyniques.
* Ceux-là ont-ils dit leur dernier mot ?
µ-5. Japon. Le G20. Comme de coutume, les puissantes nations argentées traitent par-dessous la jambe la question vitale du réchauffement climatique. Elles ne se préoccupent que de la finance à laquelle leurs gouvernements sont entièrement inféodés.
Bruxelles. Les 27 nations qui composent ladite Europe unie se disputent comme une chiennerie en meute les postes de hautes responsabilités dans leurs assemblées. On n’y parvient pas. Il n’y a pas d’Europe unie, mais seulement des principautés aux intérêts divergents, comme dans les siècles passés. Les États-Unis et la Chine ont le champ libre pour leurs manœuvres en tous genres. Nos politiciens sont de misérables menteurs doublés de traîtres pas même honteux.
Lexique de l’écrivain-III
Autocritique : Elle ne m’est pas naturelle, et donc nullement facile. On me fera dix fois la remarque ou le reproche avant que je puisse prendre la chose en compte. Je parle de littérature, bien entendu, de ce qu’on appelle aujourd’hui « l’écriture ». L’autocritique ? En fait, l’éviter, la masquer est mon premier mouvement. Pourquoi ? Parce qu’elle freinerait mon élan. Lorsque, après-coup, la machine s’est refroidie, le calme étant revenu (je n’écris que dans un calme d’apparence), je suis enfin apte à écouter qui veut me critiquer et aussi à entendre ma propre critique.
Bureau : L’écrivain adossé à sa bibliothèque de style Louis XV où, rangés réglementairement, figurent classiques et encyclopédies aux dos et cuirs chargés de dorures, non, très peu pour moi. Cela sent le fonctionnariat plumitif, la bourgeoisie satisfaite, l’engrangement des médailles littéraires, le ruban à la boutonnière, l’Académie, bref la carrière mitonnée de longue main. Je n’ai pas de bureau, seulement un provisoire atelier aux dimensions modestes, un capharnaüm. Deux fois l’an, j’y remets un semblant d’ordre.
Cacher : En écrivant, y compris des fictions, on apprend vite qu’il est vain de vouloir cacher quoi que ce soit ou de se cacher soi-même. Il arrive même que de se dévoiler sans en avoir l’air soit un moteur de l’écriture. Ainsi, dans mes premiers romans, des façons d’agir sexuelles attribuées à tel ou tel personnage étaient visiblement d’ostensibles allusions à mes goûts, à mes obsessions en ce domaine. Une forme d’exhibitionnisme plutôt satisfait de lui-même. Le lecteur un brin perspicace ne peut pas ne pas s’en rendre compte. Les errements des mots autour de la poitrine d’une jeune fille ou d’une femme ne permettent pas d’ignorer que le personnage erratique traduit l’obsession fascinée de l’auteur pour ces « globes admirables » qu’admirait Flaubert, toujours divers et splendides. Madame Bovary, oui, c’est toujours et encore « moi ». On écrit et on parle pour dire plutôt que pour ne pas dire, sinon la simple logique entrera dans l’illogique. Mes contorsions s’arrêtent ici, et, on le voit, je suis un piètre philosophe.
Carrière : J’entends par là l’ambition de faire carrière. Se répéter étant le mieux si on n’a pas mieux à dire, voici ma pensée déjà exprimée ailleurs :
« La carrière est l’occupation de qui agit pour la montre et s’en prévaut. “Ma carrière…” se dit sur un ton de discrète satisfaction.
Rouget de Lisle nous rappelle la futile automaticité de la chose :
“Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus”.
Carrière d’un artiste, d’un écrivain, d’un poète… Désolante aporie : c’est le cygne qui veut être canard ».
En outre, je concède que si j’avais voulu faire carrière, j’en aurais d’abord été empêché par mon incompétence en la matière, ma paresse, la fatigue bien souvent, et non moins l’opposition silencieuse et continue, après quelques années de publication, de ceux qui disposent leurs fausses admirations dans leurs réseaux personnels, leurs pentes sexuelles, leur incuriosité, ceux enfin que j’appelle les Robots.
Chats & Cie : Peu à peu, dans le courant vivant, ils me sont devenus indispensables. Les chats surtout, modèles de vie heureuse, de résistance aux esclavages que lui propose l’homme. Il nous en reste un seul : je suis malheureux déjà à l’idée qu’il mourra dans quelque temps et que je serai trop âgé pour en retrouver un autre, et d’autres moins encore. Quant aux animaux sauvages, ils ne sont pas un élément de la beauté du monde, ils en sont la beauté même. Comme chez Elias Canetti, ils habitent constamment ma pensée. Pour les animaux dit « d’élevage », destinés à la boucherie et à la charcuterie, ils sont notre honte sans fin et seraient celle de Yahvé-Dieu s’il avait le moindre titre à l’existence au-delà des fables dont l’homme l’a tiré.
Michel Host
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