La Somme de nos folies, Shih-Li Kow
La Somme de nos folies, août 2018, trad. anglais (Malaisie) Frédéric Grellier, 384 pages, 21,50 €
Ecrivain(s): Shih-Li Kow Edition: Zulma
« Il se passe des choses ici, il s’en passe ailleurs. C’est toujours pareil ». Mais il y a différentes manières de les raconter. Un art dans lequel Shih-Li Kow excelle.
L’auteur nous entraîne dans la Malaisie actuelle, entre la frémissante capitale Kuala Lumpur et un paisible village. Paisible ? Seulement en apparence. Car lorsqu’on y regarde de plus près, la vie campagnarde, loin d’être monotone, est rythmée par le caractère mordant des habitants. Aussi ravageurs que la pluie torrentielle qui ouvre le récit.
La grand-mère au fort caractère, la cinglée éleveuse de sangsues, la sentimentale et faussement dévote directrice d’un orphelinat, l’adorable transsexuel engagé… Cette panoplie de personnages fait monde commun, mais chacun défend sa cause, sa part d’irrationnel, sa petite folie personnelle.
En fait, La Somme de nos folies, c’est l’histoire des rapports humains et celle de la quête de la liberté. De quoi attiser les tensions : entre les écoliers qui rusent pour sécher les cours, et leurs professeurs qui rivalisent d’imagination pour contrer leurs velléités. Ou entre les touristes américains au folklorisme agaçant, et l’habitant lui-même étranger qui aspire à la tranquillité.
C’est l’art de faire de la politique à travers des objets banals, comme une boisson aux trois couleurs qui incarnerait le racisme latent de la société malaisienne. Sans oublier le duel mental entre un poisson qui aspire à l’indépendance et son autoritaire maîtresse qui le materne.
Et à ces histoires s’ajoutent les récits que racontent les habitants jaseurs et un brin marseillais… La somme de ces histoires piquantes donne alors un récit savoureux et rocambolesque, baigné de merveilleux et de poésie.
Mais à côté d’une magique Malaisie nourrie de légendes, il y a aussi le pays entré dans la mondialisation démystificatrice. Internet et les franchises américaines ont gagné la campagne, qui ne se contente pas d’être spectatrice de ces mutations. Les personnages portent en eux les contradictions de ce pays, comme cette adolescente à la fois idéaliste et désenchantée. On ajoutera les termes anglais qui côtoient la langue vernaculaire (mais tous les termes n’apparaissent pas dans le glossaire final : dommage, car tout traduire n’aurait rien enlevé à leur mystère).
Le récit joue de cette confrontation, avec un animisme amusé et un ton gentiment satirique.
Mais plus que la satire, ce qui infuse le plus ce roman, c’est sans doute l’humour. Tout l’art est de le contenir en quelques lignes, dans une anecdote cocasse, ou dans une seule phrase, et parfois en un seul mot. Toujours dans la subtilité et à point nommé, comme une délicate goutte qui, en se répercutant à une situation pathétique, la fait onduler vers le registre de l’émouvant.
Pour ajouter du sel à cette histoire, prenez deux narrateurs, bien différents, mais tous deux au tempérament bien trempé. Un Chinois qui aspire à couler ses vieux jours dans les simples plaisirs de la vie. Son regard critique alterne avec celui – plus naïf, mais pas moins dénué de sagacité – d’une petite fille à l’imagination débordante. On questionne l’amitié, la solidarité, la tolérance, mais aussi l’enfance, la religion et la quête d’assurance et d’épanouissement.
Fanny Guyomard
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