La sagesse de la mer Du cap Colère au bout du monde, Björn Larsson
La sagesse de la mer Du cap Colère au bout du monde (Från Vredens kap till jordens Ände, 2000), (Grasset, 2002) trad. suédois Philippe Bouquet
Ecrivain(s): Björn Larsson Edition: Le Livre de Poche
Des « bouts » de rêve
Marin autant qu’écrivain, et peut-être plus marin, Björn Larsson nous offre dans ce livre de bord le fruit de ses expériences en mer, sans recherche d’exotisme si ce n’est celle de l’authenticité humaine. Sans doute n’y-a-t-il d’ailleurs pas de raison valable d’opposer ici écrivain et marin, non par ce qu’ils sont la même personne, mais parce que ce que la page et la mer mettent en jeu semblent ici de même nature. Dans son Long John Silver, l’auteur faisait l’éloge de la navigation à l’estime, en mer autant que dans la vie ou son récit, et l’on retrouve dans cette écriture-navigation le même goût de la curiosité et de l’humilité, la pleine conscience de l’incertitude de celui qui ne sait où il va car il sait ce qu’il cherche, même si cela reste plein d’inconnu et de surprise. Les manuels et cartes nautiques qu’il faut savoir lire et relire, sans toujours s’y fier, connaissent même leur équivalent littéraire avec l’œuvre d’un autre écrivain suédois bien méconnu chez nous (en dépit d’un prix Nobel partagé en 1974), Harry Martinson, qui accompagne ces aventures maritimes et contribue à leur donner tout leur sens.
Livre de navigation, cette Sagesse de la mer reste ouverte à ceux qui n’ont jamais mis les pieds sur un bateau, à celles et ceux, même, qui n’ont jamais vu la mer. Cela n’empêche pas en effet d’avoir rêvé de voyages et d’ailleurs, sans toujours parvenir à réaliser de tels rêves. Sans avoir osé. Rêves de vagabondage et d’errance pour être un temps ce que l’on voudrait être, vivre ce que l’on voudrait vivre, et non ce que la vie − croyons-nous ou voulons-nous croire − nous oblige à vivre, avec son cortège d’obligations. Ce que souligne l’auteur, c’est que de tels rêves ne sont pas si inaccessibles, même si leur quête est aussi un travail et un investissement qui tolère mal la demi-mesure. Pour autant, nul n’est besoin de partir pour le bout du monde, pour les antipodes ou les Caraïbes, pour trouver cette « aventure », il suffit de se détacher un peu, de relâcher quelques liens pour qu’ils ne soient plus des entraves, et de mettre le cap dès que le temps le permet suffisamment. Le bout du monde est là, tout prêt, pour qui sait le trouver… et la mer, au-delà, reste ouverte.
Pour les terriens qui liront ce journal de bord, ce « livre de loch », le dépaysement pourra être fort, tant par le récit que par les mots de marine qui parsèment le texte, ils pourront même avoir le sentiment d’être étrangers à tout cela, qui peut aussi être inquiétant, voire effrayant et passablement insensé. Il y a bien des chances aussi qu’ils découvrent que naviguer, cela ne se fait pas qu’en mer, cela peut aussi se faire dans la vie, sur terre, dans la montagne ou ailleurs, et même dans la ville. Si l’on est peut-être seul à partir, on ne part pas toujours seul, et les compagnonnages sont précieux dans de telles traversées, car le sentiment de la solitude n’est pas celui de « l’exploit » en solitaire dont les média sont si friands, il ouvre à l’écoute, à la parole, aux solidarités silencieuses et éphémères, pas à la mise en scène héroïque de soi-même. Compagnonnage et attachement aux personnes, mais aussi à d’autres choses. L’un des principaux personnages de ces récits – outre Helle, la co-équipière dans la vie et à bord – est le voilier, le Rustica, qui affrontera les épreuves de la mer du Nord ou de la mer d’Irlande sans faillir et auquel le couple de navigateurs consacre toute son attention bienveillante. Le lecteur pourra même ressentir une certaine tristesse en découvrant, dans les dernières pages, que le couple s’est séparé de celui-ci pour un autre navire.
Il se pourrait même, c’est un indécrottable terrien qui le dit en reprenant pied une fois le livre refermé, qu’une envie d’embarquer vous prenne, à bord du Rustica ou d’un autre vaisseau, histoire de voir si vos rêves d’ailleurs sont si imaginaires et impossibles qu’on vous le dit ou que vous vous le dites vous-même.
Marc Ossorguine
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