La Reine Ginga, José Eduardo Agualusa
La Reine Ginga, avril 2017, trad. Portugais (Angola), Danielle Schramm, 232 pages, 21 €
Ecrivain(s): José Eduardo Agualusa Edition: Métailié
Le roman de Jose Eduardo Agualusa est multithématique et confine à des genres très variés : Francisco, le personnage principal, est un jeune prêtre brésilien, métis d’Indien et de Portugais. Il débarque bientôt à Luanda pour devenir secrétaire de la Reine Ginga, reine d’une grande partie du territoire de ce qui va devenir l’Afrique lusophone. C’est l’Afrique des seizième et dix-septième siècle qui sert ici de décor, l’Afrique de la colonisation européenne, mais aussi des confrontations des civilisations. Le récit, parsemé de bout en bout de descriptions de batailles, de portraits de personnages hauts en couleur, est marqué par un constat fait par ce jeune prêtre : il est en proie à des doutes intenses sur l’attitude de l’Eglise face aux « Indigènes », faut-il les respecter, les anéantir, les assimiler ?
Très vite, Francisco entrevoit une déchirure inévitable, un divorce nécessaire : « En rejoignant le service de Ginga, en vérité je fuyais l’Eglise – mais je ne le savais pas encore à ce moment-là, ou peut-être le savais-je, mais je n’osais pas affronter mes doutes les plus profonds ».
La rencontre avec la reine Ginga achève de convaincre Francisco qu’il est en présence de ce que l’on appelle de nos jours un leader charismatique : Ginga règne, elle se paye même le luxe de faire prisonnier des officiers de l’armée portugaise et négocie avec ces derniers, par l’intermédiaire de Francisco. Cette reine se montre capable aussi de civilités, et accueille Francisco avec le maximum d’égards. Les interrogations de Francisco se multiplient jusqu’à l’aveu fait par Cipriano, un portugais, qui lui apprend que deux sœurs de Ginga sont tombées captives des troupes portugaises et risquent de devenir esclaves. Il n’y a plus de doute pour notre prêtre : « Je commençais à avoir l’intuition, cependant, que pour sauver Dieu, pour l’innocenter d’avoir créé le Mal, saint Augustin condamnait l’humanité. Selon lui, les enfants héritaient de péché de notre père Adam. Ceux qui n’avaient pas été baptisés brûleraient pour toujours dans les flammes de l’Enfer ».
Ce roman, dont le ton peut parfois apparaître léger, car rempli de plaisantes anecdotes, de détails truculents, aborde aussi, et c’est là l’une de ses qualités essentielles, des questions essentielles : la religion, la place qu’elle prend dans le processus colonial, le métissage, dont on sait qu’il a joué un grand rôle dans la formation de l’Empire colonial portugais, et l’esclavage, dont les atrocités et exactions sont évoquées dans un chapitre du roman relatant la vie de Francisco au Pernambouc, province du Brésil. Le récit nous fait découvrir également, autre mérite capital, le rôle des souverains africains à cette période. On constate qu’il n’a pas été mince, et que les Africains ont, comme le dit le complément du titre du roman de José Eduardo Agualusa, « inventé le monde » eux aussi.
Stéphane Bret
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