La Rafle du Vel d’Hiv, Laurent Joly (par Philippe Leuckx)
La Rafle du Vel d’Hiv, Laurent Joly, Grasset, mai 2022, 400 pages, 24 €
Edition: Grasset
Voilà un livre-événement qui va réveiller les consciences car il est la somme de recherches sur l’histoire de l’Occupation et d’un de ses plus sinistres faits, la Rafle de juillet 1942 qui coûta la déportation à plus de treize mille Juifs. Basé sur une documentation féconde (une soixantaine de pages de références bibliographiques, en fin de volume), l’essai historique fouille véritablement les circonstances qui préparèrent l’horreur.
Jamais un livre sur le sujet ne mit en cause d’une façon aussi argumentée et éclairante que ce document de Joly, qui pointe la totale responsabilité de la Police parisienne qui usa de tous ses ressorts pour « réussir » l’opération et faire plaisir (que de zèle du côté de nombre de commissaires) à l’Occupant. Bien sûr, Bousquet, Darquier de Pellepoix et autres pontes du gouvernement de Vichy sont aux sources mêmes de la tragédie.
Le livre se divise en huit sections : de la préparation à la traque, et l’analyse éclaire les enjeux de ces jours maudits. Les 16 et 17 juillet 1942, l’ordre est donné de rafler au moins trente mille personnes de confession juive. Les chiffres ne seront pas atteints, les faits ayant largement été éventés selon les arrondissements de Paris. La seconde journée de rafle sera particulièrement décevante, au vu des chiffres enregistrés, et ce, en dépit du zèle de nombre de policiers qui interpellent, agressent, défoncent des logements, prennent un malin plaisir à arrêter enfants, vieillards, femmes.
L’essai est glaçant : il énumère les faits, les décrypte, dénonce les responsabilités, enregistre les centaines de noms de policiers qui ont entrepris l’impensable. Trop peu aidèrent la communauté juive, nombre de dossiers furent instruits à l’époque de l’épuration mais les peines furent légères. Les personnes raflées vécurent l’enfer dans l’enceinte du Vélodrome d’Hiver, avant d’être expédiées dans les camps de Pithiviers, Drancy, Beaune-la-Rolande, et enfin à Auschwitz. La faim, la saleté, la promiscuité, les violences sont le lot quotidien de ces gens entassés à la hâte dans des bus réquisitionnés pour achever leur périple au Vel d’Hiv, dans des conditions d’hygiène épouvantables.
Tout a été préparé avec l’énergie du mal par Bousquet, aux ordres de Laval. Bousquet, pour flatter l’ennemi, ajouta aux exigences allemandes les enfants, ce qui n’était pas requis au départ. On voit là l’horreur d’un régime prêt à tout pour aller dans le sens de la collaboration fructueuse. Selon les arrondissements, en fonction de l’implantation des communautés juives et selon le zèle plus ou moins dessiné des commissaires de police d’arrondissement, les rafles furent plus ou moins efficaces. Mais la traque des personnes qui échappèrent aux deux journées de juillet fut incessante les semaines qui suivirent. L’on ne pouvait se contenter de la moisson maigre, à peine la moitié de ce qui était prévu.
Le livre est riche des histoires individuelles et familiales de Juifs et Juives envoyés dans les camps pour une mort certaine. Un encart photographique de plusieurs dizaines de pages révèle des visages d’enfants et d’adultes raflés, des documents (cartes d’identité, fiches des dossiers juifs), des rapports de police. L’histoire vraie est là sous nos yeux, terrible, poignante. On sait que peu revinrent des camps de l’horreur.
Le livre se lit comme un témoignage prenant, hautement documenté, raconté le plus objectivement possible.
Laurent Joly, spécialiste de la période, a écrit là une des pierres angulaires de l’histoire de l’Occupation.
Philippe Leuckx
Laurent Joly est un historien français, né en 1976. Il est l’auteur d’une douzaine de livres axés sur l’Occupation : L’Etat contre les Juifs ; Dénoncer les Juifs ; Vichy dans la solution finale ; etc.
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