La Princesse légère, George MacDonald (par Yasmina Mahdi)
La Princesse légère (The Light Princess), George MacDonald, octobre 2018, trad. anglais Pierre Leyris, 112 pages, 6,70 €
Ecrivain(s): George MacDonald Edition: Libretto
Dans ce conte, daté de 1864, du pasteur calviniste George MacDonald (1824-1905), les présages sont suivis aussitôt par la prescription, laquelle invalide la joie des naissances, ternit le bonheur des parents, parents sur qui pèse une menace. Au-delà de la trame archétypale de l’histoire, transparaissent les hantises propres à une époque (particulièrement caractéristiques d’une société protestante), ainsi que leurs résultantes stigmatisantes : par exemple, le fait d’être une femme stérile, de surcroît une reine. En effet, la reine devient mère relativement tard, et de plus, met au monde une petite fille, un événement mineur, qui va déclencher une punition (l’admonestation des géniteurs), perpétrée par une espèce de double menaçant, une vieille fille, la princesse, sœur du roi, redoutable sorcière. Les yeux de « la vieille princesse Onsenrpentira » sont « caméléons » comme ses humeurs et ses pouvoirs supranaturels. Il y a une similitude entre le conte de La Princesse légère et celui de La Belle au bois dormant (écrit en 1697), notamment en ce qui concerne les enfants, lesquels, dès leur naissance, sont marqués du sceau de puissances maléfiques (ou bénéfiques) par les Parques ou les Fées, qui vont les affubler d’un handicap, atrophie ou incapacité, malheurs devant être combattus par des épreuves, ou guéris par un élu, magicien ou futur souverain.
Le récit de George MacDonald pose les conditions implicites à une certaine morale : un oubli se révèle dangereux, même s’il n’est pas prémédité ; ainsi, l’oubli d’inviter un membre de la famille amène de terribles conséquences. Mieux vaut donc l’hypocrisie – le respect des conventions – que la désinvolture. Or, l’inconséquence du roi est fâcheuse. On y voit là l’inconstance, l’imprévoyance et la mauvaise gouvernance, ce que sous-entend l’auteur : « car c’était un petit roi doté d’un grand trône, comme beaucoup d’autres rois ». Des images délicates bercent l’imaginaire, défiant la gravité de la situation (au propre comme au figuré) avec, tantôt, un « petit vent-fée »,une graine de pissenlit », et ailleurs, « le vent espiègle [qui] fait pleuvoir par centaines des pétales de roses rouges sur la petite dormeuse blanche ».
La deuxième grande question posée par l’auteur semble la suivante : quelle est la nature de l’inconstance ? Question métaphysique car si dans le conte l’insouciance de la petite princesse n’est entachée d’aucune souffrance, c’est au prix du tourment de son entourage. George MacDonald prête des propos antagonistes au roi et à la reine, le roi plaidant pour un corps léger et la reine, fustigeant un esprit léger ! En cela, l’écrivain défie les lois du genre car la petite fille échappe à tout contrôle rationnel. La princesse se zoomorphise, donne libre cours à l’animalité en elle, faisant corps avec un papillon – un être aérien, éphémère, synonyme de trépas dans la peinture de Vanité, associé à Psyché, allégorie de l’âme –, puis avec un crapaud – symbole amphibien diabolique, l’animal de compagnie favori des sorcières mais sur le plan métaphysique, symbole de l’union sacrée de l’eau, de la lune et de la nuit, et avec un poulet – un animal de basse-cour, domestique. L’auteur écossais, appartenant à l’église congrégationaliste, bat en brèche la doctrine de la prédestination, par justement la création de son personnage féminin, destiné à la souveraineté, et par un envoûtement, se trouvant prisonnier d’un charme et du plus étrange des handicaps… Ainsi, les « Métaphysiciens » du conte sont considérés avec humour, et George MacDonald ne tranche ni en faveur du « matérialisme », ni du « spiritualisme » – cela dit, la théorie spiritualiste étant la plus inquiétante et « les philosophes » considérés « sans scrupule ».
Pour finir cette courte analyse, le manque, la part manquante, fait place à l’étrangeté comme un « élément impondérable », la privation d’un des sens. Ici, la supposée « contrenature » se bat face au « désir d’être comme tout le monde ». Donc, la petite princesse se transforme en personne amphibie, en plus d’avoir perdu sa gravité terrestre. Le merveilleux des légendes côtoie le prosaïque de la survie et G. MacDonald use d’une prose poétique pour décrire le combat entre eau pure et boue putride, lumière bienfaitrice et caverne ténébreuse. Comment rompre l’enchantement et par quels moyens se délivrer des forces diaboliques ? Ce roman initiatique parle autant du passage de la fillette à celui de la jeune fille adulte, des conséquences de ce franchissement, de la rencontre avec l’amour, l’autre et la sexualité.
Yasmina Mahdi
- Vu : 1996