La position du pion, Rafael Reig
La position du pion, traduit de l'espagnol par Myriam Chirousse février 2017, 286 pages, 20 €
Ecrivain(s): Rafael Reig Edition: Métailié
Dans les environs de Madrid, à El Tomillar, un groupe d’amis, composé de couples, attend leur ancien leader Luis Lamana, surnommé Le Gros. Il est de retour des Etats-Unis. Tous, à des degrés divers, appréhendent sa venue car ils sont ex-militants communistes et craignent des révélations sur eux-mêmes ou sur d’autres proches. Leurs parcours, leurs origines, sont des échantillons de l’histoire de l’Espagne contemporaine : Pablo Poveda, romancier, auteur de La Plénitude du mauve, et d’Intermittences, qui lui valu un succès remarquable ; Alicia, son épouse, assimilée à une cariatide, en raison de sa grande taille qui surplombe ses interlocuteurs ; Ricardo Ariza est architecte et cultive un raffinement de bon aloi ; Carlota Casarès est photographe ; Alejandro Urrutia, navigateur ; et Lola Salazar, épouse de ce dernier. Enfin, Johnny, de son vrai prénom Julian, est le fils d’Isabel Azcoaga, mais doute fortement de l’identité de son père, et recherche ses véritables origines.
L’originalité de la technique romanesque utilisée par Rafael Reig est double : tout d’abord, l’auteur fait appel aux jeux d’échec pour illustrer les motivations des personnages, la source de leurs actes, les raisons d’agir qui les habitent. Ensuite, chaque personnage est mis en scène à partir d’un moment de son histoire. On passe ainsi de l’Espagne franquiste des années soixante à celle de la transition démocratique du début du règne de Juan Carlos, puis à l’Espagne de la Movida des années quatre-vingt. Et c’est à une véritable dissection des vies de ses personnages que se livre Rafael Reig. Ainsi, Pablo Poveda troque volontiers l’habit du romancier dissident pour se lover dans celle du romancier à la mode :
« Je n’accordais pratiquement pas d’interview et ne me faisais pas voir en public, ce qui avait persuadé mes lecteurs que j’avais accès à des informations privilégiées ».
Ricardo Ariza succombe aussi à la tentation : « travaille au bureau d’études de la Banque d’Espagne (…) il était l’un des cerveaux dans l’ombre du plan économique du PSOE ». Son épouse, Carlota, rompt également avec la marginalité, elle inaugure sa première exposition photos au Photocentro, « vécue comme une entrée dans le monde ». Rafael Reig nous incite à nous interroger sur des questions de fond : la culpabilité, la responsabilité de chacun, la solidité des convictions. Avec beaucoup d’humour, l’auteur souligne l’importance de l’époque dans la vie de ses personnages :
« Les couples d’amis étaient devenus quelqu’un au début des années 80, ils s’étaient rangés (…) et ils avaient l’impression de faire partie de quelque chose de plus grand qu’eux, du cours de l’histoire, du courant qui façonnait l’avenir ».
Belle illustration apportée dans ce récit original du rôle des générations dans l’histoire et de la malléabilité des convictions individuelles, sujettes à des accommodements.
Stéphane Bret
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