La poésie de Colette Gibelin, par Murielle Compère-Demarcy
La poésie de Colette Gibelin est « une immense fleur de cactus(qui) renversée s’achemine / vers la poussière » (in Mémoires sans visages & autres textes, éd. du Petit Véhicule, 2016), et insuffle l’intensité de si bien savoir la retenir, dans le souffle de la tension, de l’émotion contenue comme la falaise effritée du Dire accueille et relance la force de frappe des vagues qui se brûlent et se renouvellent de leurs ressacs. Altitude / envergure des amers sur la crête des lames de fond ; « iris déchiquetés, (…) mots paralysés » prenant le vent par toutes ses lézardes, « le temps d’un nouvel amandier » (Id.)…
Rythmée par un lyrisme existentiel, l’écriture poétique de Colette Gibelin s’est au fil du vécu dépossédée ou débarrassée d’une expression stricto sensu personnelle pour accéder à un universel singulier. L’écriture ici parvient à exprimer, avec densité et une intensité contenue, les perceptions sensibles et émotions d’une traversée singulière de l’existence tout en touchant ceux et celles qui en lisent les mots. Les mots de Colette Gibelin recueillent « le cri de rage de l’instant jeté en défi dans le vent », ils exercent leur filtre/philtre au lieu-dit mouvant névralgique où s’ouvrent les brèches, où nous vertige la faille inscrite en puissance sur le versant de l’ombre, autre visage du versant ensoleillé.
La vie est versicolore ; le Poème en transmue les touches, en retouche les teintes sur le cercle chromatique. La poète en souligne le subtil et riche nuancier et met en évidence les contrastes forts, physiques et symboliques, tels que l’ombre et la lumière, figurant « un vide balafré d’amandiers et d’étoiles ». La dualité habite sa poésie, « soleil tragique et mesuré », qui la transcende dans un élan poétique dont l’envol capte et prend ciel vers la lumière. L’obscur des buissons épais de l’existence s’y élague pour laisser rentrer l’air – cet air parfois difficilement respirable –, pour choisir au final de joindre les deux versants du vécu – versant de lumière et de l’ombre – dans Le Paroxysme seul (éd. Guy Chambelland, 1972) du poème.
La poésie de Colette Gibelin retentit des éclats de la brèche existentielle (cf. Éclats et Brèches, éd. Clapas, 2000) – « fêlure », « faille » colmatées par les mots comme ils endiguent le « torrent verbal primitif » – ; elle vibre et nous fait vibrer dans le laps vertigineux de l’éclatement aussitôt contenu, aussitôt transcendé. La vie y est reconquise dans une optique proportionnée et mesurée où les lignes de fuite se rejoignent dans le givre de feu du poème pour y faire jaillir profondeur et perspective des alignements apparemment nuls ou déformants d’une réalité fervente en son cœur.
La poésie de Colette Gibelin est à la fois jour et nuit, ombre et soleil, silence et chant – réunis dans le souffle de mots diffusant une parole en mouvement libératrice. Elle se constitue à la fois cri et chant de fontaine (cf. Comme un chant de fontaine, éd. Alain Benoit, 2002), parcourue Dans le doute et la ferveur (Encres Vives, 2012), à la fois pureté et déchirure, noyade et acheminement vers la rive, « éclaboussures du néant » et sobre ivresse vers la cime toujours recherchée. Elle dit la « vénéneuse beautédu monde ». Elle nous traverse, nous transperce, nous fulgure et nous élève de « ce centre brûlant du vide », « le cœur vivant du rien », où le sang de ses « mots lumière » circule d’une fêlure intérieure comme ailes vibrantes d’une bougie, bribes d’incandescence (éclat transmué en éclaboussures), lumière d’« orange ravinée » d’une « terre brune » savoureuse et laborieuse dont elle célèbre les lavandes, les cyprès, les crépuscules, les cigales, « le matin fauve », les figuiers, les oiseaux, les tamaris, le thym, les pierres vivantes, les « soleils perdus et regagnés », les « braises rouges du vivre haut », … Cherchant à mains nues la lumière (éd. Villa-Cisneros, 2018),
« avec ces mots de feuilles
(Elle) délimite un espace vide, mauve, une faille sobre
Où peut-être vivre »
Murielle Compère-Demarcy
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