La poésie d’Aimé Césaire, par Nadia Agsous
« Parole des profondeurs »
Aimé Césaire est écrivain, dramaturge, biographe, homme politique, avant tout et par-dessus tout, il est poète. Il est cet être sensible et lucide, animé par ses passions ardentes ; il est ce manouvrier de la langue qu’il use à loisir, en toute liberté, pour dire, affirmer haut et fort et graver son être au monde. La poésie césairienne éblouit par la beauté de son verbe ; elle envoûte par son parfum à l’essence de vérité ; elle émeut par sa sincérité, son authenticité et sa profondeur.
Le verbe poétique d’Aimé Césaire sonne comme une promesse de vie et d’épanouissement ; c’est une voix qui résonne en nous, qui parle à notre sensibilité, qui panse nos plaies, nourrit nos ambitions et fait vivre nos rêves.
Aimé Césaire définit la poésie comme « la parole rare », « la parole essentielle », la « parole fondamentale », « la parole des profondeurs ». De son point de vue, la poésie est une parole qui « s’accumule ; elle s’accumule pendant longtemps ; elle s’accumule patiemment, elle fait son cheminement ; on peut la croire éteinte et brusquement, la grande déchirure : l’éruption ! »
Et nous voilà propulsé-e-s dans les confins du « geyser » et de ses vapeurs euphorisantes et bienfaitrices.
Avant le jaillissement, la parole du poète en ce qu’elle recèle de merveilleux, de fabuleux, de mystérieux et de magique, s’accumule dans un espace qui prend l’allure d’une « Île à soi », d’un « Ailleurs » ou encore d’un volcan qui dort où le poète se libère de ses mots/maux, pour faire advenir une émotion par la magie de son verbe finement ciselé. Cette « île à soi », cet ailleurs, ce volcan endormi devient un lieu d’enfouissement, d’enracinement, de dévoilement, de révélation.
La poésie d’Aimé Césaire devient alors un espace hors du monde, où le poète se met à nu ; c’est un lieu où il entreprend sa quête des origines ; où il inscrit son appartenance à son peuple, à sa terre, et son appartenance diverse ; où il exprime la conscience de soi renoué avec ses origines. La poésie est un lieu où le poète se montre dans sa fragilité extrême. « Ma poésie, explique Aimé Césaire, est celle d’un déraciné, et d’un homme qui veut reprendre sa racine ».
Cette quête profonde de soi, de son peuple et de ses origines, s’exprime par de nombreuses identifications à la nature qui occupe une place centrale dans son imaginaire.
La poésie césairienne foisonne de références à la faune et à la flore : la fleur, la mer, l’océan, le soleil, la terre, la vague, et parmi ces métaphores, l’arbre qui évoque la racine et l’accrochement et l’accrochage au sol est prépondérant. A propos de l’arbre, A. Césaire disait :
« Il m’inquiète, il m’intrigue, il me nourrit ; c’est pour moi, le symbole de l’homme lié à sa nature, la nostalgie d’un paradis perdu ».
La poésie d’Aimé Césaire est un art, mais c’est aussi une « alarme » qui réveille les consciences. C’est par ce biais qu’il libère la partie recluse en lui. La poésie prend l’allure d’un lieu intime où le poète puise ses forces profondes ; où il établit ses liens avec ses origines et sa présence au monde.
La poésie d’Aimé Césaire est une affirmation personnelle et collective. C’est une invitation à la vie débarrassée de ses oripeaux. C’est une promesse de réconciliation avec soi et avec l’Autre. C’est une incitation voire une invitation à écouter le bruissement de son cœur, à se libérer des enchaînements et à pénétrer le monde pour y creuser sa place.
La poésie d’Aimé Césaire est merveille, enchantement, liberté, libération !
Nadia Agsous
Texte lu à la Maison de l’Amérique latine, à l’occasion de la Célébration des 103 ans d’Aimé Césaire, organisée par Mona Gamel El Dine, Présidente de l’Association ISIS Arts & Cultures pour la Paix.
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