La pitié ne coûte que dix gourdes, Edna Blaise
La pitié ne coûte que dix gourdes, C3 éditions, 2016, 53 pages, 3,50 € (250 HTG)
Ecrivain(s): Edna Blaise
Depuis près de 100 ans l’île d’Haïti s’est révélée terre de haute littérature, bien au-delà des générations et des écoles. Poésie, roman, théâtre, contes ou nouvelles… les auteurs haïtiens, sans vraiment faire « école », sont présents quasiment dans tous les coins et recoins de la littérature. Haïti terre littéraire où écrire est la chose la plus partagée ? Visiblement oui. Mystère du climat, réponse aux souffrances imposées par la nature et l’histoire ? Sans doute un peu de tout cela.
En voilà une nouvelle preuve avec ces nouvelles d’une auteure de 23 ans qui publie ici son premier livre : Edna Blaise. Un volume aussi court (une cinquantaine de pages) que prometteur. En quatre nouvelles nous découvrons une ironie mêlée d’onirisme et d’une élégance cruelle qui fait mouche. Tout cela en nous parlant, mine de rien, de la réalité haïtienne. Dans Le résultat de mes tests, des symptômes qui pourraient être inquiétants révèlent la plus improbable des maladies. C’est l’impossibilité de se connaître et de se reconnaître qui est le fil du Rendez-vous, semblant nous dire que depuis janvier 2010, à Jacmel et ailleurs, il y a des fois où le présent rend le passé illisible. L’ironie s’y fait ici cruelle et troublante. Inquiétante même.
C’est une certaine tendresse que l’on peut aussi percevoir dans Edna, même si ce témoignage d’un père qui observe sa fille porte bien des marques d’incompréhension, de tension, d’agacements… et d’estime. La dernière nouvelle, qui donne son titre au recueil, La pitié ne coûte que dix gourdes, aux accents de conte d’Andersen des Caraïbes, s’arrête sur la violence quotidienne faite aux enfants, aux ambiguïtés de la charité qui leur abandonne dix gourdes (la monnaie haïtienne, un petit peu plus de 10 centimes d’euro).
Il a dans cette écriture déjà un ton, qui se cherche et se trouve, qui nous donne envie d’en lire plus. La créolité haïtienne n’a pas fini de nous séduire, sans doute par cette universalité dont la littérature peut parer le local. Mais au fond, il se pourrait bien que littérature soit l’autre nom de Haïti.
Edna Blaise est par ailleurs chroniqueuse régulière du principal quotidien haïtien, le National (exemple d’une de ses chroniques, Un coup de fil aux aïeux).
C’est un éditeur du cru qui nous propose cette découverte, les éditions C3. Fondée en 2011, la maison a déjà un beau catalogue ouvert à la poésie, au roman, aux essais, aux nouvelles… et qui accueille aussi bien des plumes illustres reconnues jusque chez nous (Lyonel Trouillot, Louis Philippe Dalembert, René Depestre ou Gary Victor) que de nouveaux auteurs. Si vous n’avez pas le loisir de faire le voyage, vous pouvez passer par le projet de l’association LEVE pour vous les procurer.
Marc Ossorguine
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