La petite lumière, Antonio Moresco
La petite lumière (La lucina) traduit de l’italien par Laurent Lombard, septembre 2014, 128 p. 14 €
Ecrivain(s): Antonio Moresco Edition: Verdier
Vraie découverte que ce premier récit traduit en français de l’italien Antonio Moresco. Une précieuse « petite lune », pour reprendre les mots mêmes de l’auteur, qui s’est détachée de son grand œuvre, pas encore publié, Increati (Les incréés) qui viendra clore un livre unique (à tous les sens du terme semble-t-il) de près de trois mille pages dont les premières étapes ont été Gli esordi (Les débuts) et Canti del caos (Chants du chaos), que les lecteurs français ne connaissent pas encore. Un grand œuvre que l’auteur a commencé il y aujourd’hui trente ans et dont cette lune détachée, écrite en 14 jours, s’est imposée à lui dans une urgence d’écriture venue de loin et à laquelle il tient beaucoup. L’intimité de cette œuvre et sa profondeur s’imposent aujourd’hui à nous, pour notre plus grand bonheur.
Au départ un homme vieillissant qui a décidé de se retirer du monde, de disparaître discrètement, s’est réfugié dans un hameau en ruine, abandonné de tous. Dans ses nuits solitaires, il perçoit, revenant avec insistance, une petite lumière, de l’autre côté, au milieu d’une forêt sombre où il n’y a en principe nul humain, nul village connu. Dans cette nature où les animaux et les arbres côtoient paisiblement la vie, la mort et une certaine folie, l’homme part à la recherche et à la rencontre de la petite lumière, accompagné par les lueurs si étonnantes des lucioles. Dans une maison isolée il rencontre un enfant. L’enfant. Celui-ci vit seul. Il entretient la maison et le linge, se fait ses repas… tout cela avec un soin méthodique, une application presque irréelle. Être seul, il y est habitué. Depuis toujours semble-t-il. Depuis toujours.
Petit à petit l’homme va découvrir l’enfant, se rapprocher de lui. Découvrir son chagrin secret, lié à cette école d’où il rentre tous les soirs à la nuit tombée. La rencontre, d’enquête, est devenue quête alors que les hirondelles mènent leur ballet fou et féroce de gobeuses d’insectes et de voyageuses de mystère. Savent-elles mieux que l’homme pour quel voyage elles s’apprêtent, poussées par on ne sait quel ordre, quelle impulsion, quelle étincelle de folie ou de vie ? Sans doute pas se dit l’homme, mais elles acceptent l’aventure et s’y engagent pleines d’excitation.
Hommes et bêtes, chacun va son chemin, ni vraiment attentifs ni vraiment indifférents aux autres, mais présents, intensément présents à ce qui se passe, autour d’eux où au dedans d’eux-mêmes. Les interrogations et les énigmes ne sont pas des freins et chacun va où il doit aller – comme ces cavaliers qui traversent en silence le hameau à l’abri de leur cirés dégoulinant d’eau sous une pluie dense – chacun fait ce qu’il a à faire – tel l’enfant ou le concierge de l’école qui officie dans une obscurité envahissante.
En quelques pages étranges, dans une nature mise à nue et pleine de fantastique, de rêves éveillés, où la terre tremble et où les oiseaux parlent à qui les entend ou croit les entendre, Antonio Moresco nous emmène très loin, en des terres inconnues où peut-être seule la littérature peut nous emmener, ignorant les limites du jour et de la nuit, du rêve et de la réalité, de la mort et de la vie.
Sans doute les exégètes trouveront-ils pour cette littérature des explications savantes, philosophiques voire métaphysiques ou théologiques. On peut aussi se contenter de suivre Antonio Moresco sur le sentier de poésie qu’il nous propose, où les mots et les images nous font sentir, percevoir, deviner, nous touchent sans rien nous expliquer. Un sentier d’écriture et de lecture pour ré-enchanter le monde et nous permettre de nous y inscrire un peu autrement.
Un univers qui n’est pas sans rappeler la profondeur, la force et la puissance imaginaire et poétique d’un Tarjei Vessas et que nous espérons pouvoir très bientôt découvrir plus avant.
Marc Ossorguine
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