La petite conformiste, Ingrid Seyman (par Christelle d'Hérart- Brocard)
La petite conformiste, Ingrid Seyman, Editions : Philippe Rey 22 août 2019, 192 pages, 17 €
Edition: Philippe Rey
Esther, la narratrice, évoque son enfance, marquée par les fortes contradictions d’une famille bigarrée, où chacun cherche à faire entendre sa voix. Son récit de vie privilégie tantôt l’humour et la tendresse, tantôt la férocité ou la sévérité, selon l’instance d’énonciation prédominante : la petite fille précoce ou l’adulte et son point de vue rétrospectif.
Née à Marseille, de parents soixante-huitards, adeptes du fameux précepte il est interdit d’interdire, la fillette n’a d’autre choix que celui de composer avec la vie débridée qui règne à l’intérieur du cocon familial. Unis par la règle de la nudité dans leur trois-pièces, les individualités coexistent sans trop de heurts, grâce à de petits et gros mensonges, de petites et grandes concessions. Avec la complicité de ses deux enfants, Babeth, la mère résolument athée, échafaude de savants subterfuges pour réfréner les sautes d’humeur de son mari, et se ragaillardit en compagnie de ses deux bons amis, Gilles le chevelu et Suzanne la lesbienne.
Jérémy, le petit frère insupportable, hyperactif, occupe néanmoins une place privilégiée auprès des siens, qui accueillent avec courage et bienveillance ses nombreux débordements. Esther profite de sa scolarisation inopinée dans une école catholique, située dans le 8ème arrondissement cossu de Marseille, pour mener crânement une double vie aussi décousue que rocambolesque : ses repas dominicaux sont ainsi partagés entre le « couscous-boulettes » chez Fortuné et Isaac, ses grands-parents paternels juifs, et le « gigot d’agneau-haricots verts » chez sa meilleure amie, Agnès Robert. Quant à Patrick, le père fantasque, il excelle tellement dans l’excentricité maniaco-dépressive que son entourage, bon an mal an, finit par mettre en place tout une batterie de parades fort bien huilées pour ménager sa sensibilité à fleur de peau. Dans cet imbroglio infernal, l’équilibre familial est pour le moins précaire et la cohésion, difficilement pérenne. Le délitement s’opère au fil des pages, jusqu’à la chute finale, qui est d’autant plus inattendue que le ton reste volontairement léger, souvent enjoué ou faussement naïf, même au cœur des épisodes les plus dramatiques. Avec ce premier roman, Ingrid Seyman interroge les composantes de la normalité et les risques encourus par ceux qui s’en éloignent ou cherchent à s’y fondre malgré eux, et nous attire, tout en douceur, dans le maelstrom psychologique d’une tragédie familiale, d’un drame du quotidien qui, entre burlesque et réalisme, absurde et pathétique, pourrait très bien avoir lieu près de chez vous…
Christelle D’Hérart-Brocard
Ingrid Seyman vit à Montreuil. Elle est journaliste et réalisatrice. La petite conformiste est son premier roman.
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