La peine capitale, Santiago Roncagliolo
La peine capitale, avril 2016, trad. espagnol François Gaudry, 382 pages, 20 €
Ecrivain(s): Santiago Roncagliolo Edition: Métailié
Quatrième livre d’un jeune auteur (né à Lima en 1975), déjà fêté pour son premier roman Avril rouge (2008), ce thriller politico-social entraîne le lecteur dans un imbroglio haut en couleur, dont le contexte est admirablement bien rendu. Sur fond de Mundial 1978 au Pérou, quand les activités publiques et privées sont réduites à leur plus simple expression, puisque tout le monde suit à la télévision les retransmissions des matches, un simple employé, assistant aux archives du Palais de Justice de Lima, enclenche presque sans le savoir une mécanique d’enquêtes, d’éclaircissements, de courses poursuites, et tout ça à partir d’un document mal classé, petite boule de neige de papier qui va huiler toute une intrigue.
Ce petit employé s’appelle Félix Chacaltana. Il vit encore chez sa mère, très dominatrice, très pieuse, très encombrante. Il a un directeur des archives qui passe le plus clair de son temps à regarder le foot. Félix est bien le seul à se préoccuper de son travail, et il doit joliment emmerder tout son petit monde par ce que les autres appellent des lubies : marottes de classement, souci précautionneux de ne pas faire de gaffes ; bref un employé modèle dans un monde qui s’en fout, endormi dans les conventions, assommé par la chaleur et anesthésié par le Mundial, sans parler bien sûr de la chape de plomb du régime militaire qui voit des subversifs partout.
Félix aime l’ordre et s’engage très vite dans une enquête qui va le mener trop loin. Le petit gamin à sa maman ne sait pas trop s’approcher des femmes et Cécilia en paie bien sûr les bavures et les hésitations. Voilà Félix empêtré au propre et au figuré là où il passe : qu’est devenu son ami Joaquin Calvo ? Pourquoi son directeur d’archives le met-il en garde de fourrer son nez un peu partout ? Pourquoi sa mère pèse-t-elle autant sur sa vie intime ? Autant de questions qui le conduisent à enquêter de plus près. Sur son chemin, une autre femme, Susana Aronda, le père de son ami Joaquin, Don Gonzalo, l’Amiral Carmona, vont peu à peu dénouer les fils tressés d’un mystère qui bat au rythme des rencontres de foot et s’éclairera en toute fin de roman pour respecter jusqu’au bout le suspense.
Voilà bien un roman qui ravira les amateurs de couleur locale, d’histoire récente et de psychologie fouillée. Les personnages prennent chair, force et langage sous nos yeux et ce ne sont pas des chiffons de papier ni des mécaniques sans âme. Les descriptions donnent au contexte toute sa complexité : Lima vit sous nos yeux avec ses clameurs de tifosi, avec ses torpeurs et ses coins d’ombres.
Et surtout un antihéros ordinaire, banal, dont beaucoup se moqueraient pour tenir des propos classieux, pour n’être qu’une ombre, devient, la maturité aidant, quelqu’un d’autre, qui n’est plus soumis mais délivré de sa coquille pesante de vision élémentaire du monde qui l’entoure : Félix est devenu un homme.
Bref, un roman d’excellente tenue.
Philippe Leuckx
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