La Patte du chat, Jacques Cazotte (par Didier Smal)
La Patte du chat, Jacques Cazotte, avril 2021, 96 pages, 7,60 €
Complexe histoire que celle de Jacques Cazotte (1719-1792), pourfendeur des mœurs de son temps, et pourtant fidèle à un esprit « Ancien Régime » au point d’avoir dit, en montant sur l’échafaud : « Je meurs comme j’ai vécu, fidèle à mon Dieu et à mon roi ». Pour lui, à la fin de sa vie, alors qu’il est entré dans les ordres, le Bien est incarné en la cause royaliste, et la Révolution, c’est le Mal en action. Le Mal est déjà au cœur de son récit le plus célèbre, Le Diable amoureux, publié en 1771, cette « nouvelle espagnole » qui valut à son auteur le titre de « père du fantastique » français.
Du Diable amoureux, rien ne sera dit ici, car c’est un récit paru trente années auparavant qui retient notre attention, actualité éditoriale et curiosité littéraire obligent : La Patte du chat. L’expression « curiosité littéraire » n’est pas vaine : ce bref récit, par un tout jeune homme, est dans la veine parodique de son époque, à mi-chemin entre le conte de fées remis au goût du jour à la fin du siècle précédent (d’Aulnoy, Perrault) et l’orientalisme dans l’air du temps depuis qu’Antoine Galland a refondu en français Les Mille et une nuits.
Le jeune Cazotte, tout juste sorti d’un collège de jésuites, et qui publiera l’année suivante, en 1742, Les Mille et une fadaises, s’offre le plaisir d’une bluette : un conte qui se déroule dans le royaume de Zinzim, dont le roi est un certain Tatonnet et dont la reine-mégère est Filigranne (mot-valise transparent), et où advient un drame : le prince Amadil au long nez, amoureux de la princesse Amandine au fichu caractère, marche par inadvertance sur la patte du chat, de la reine, Grognon ! Et le conte de s’envoler, l’exil d’Amadil le menant en particulier chez la fée Bleuâtre, et le tout menant à une révélation effectivement digne d’un conte merveilleux.
Tout cela est bel et bon, enlevé, mais le lecteur d’environ trois siècles plus tard peut soupirer au systématisme d’un récit de jeunesse destiné à dénoncer les travers de son époque (les faux penseurs, le vaudeville philosophique, le badinage excessif, etc.) tout en tombant dans le piège des mêmes travers (certains passages sont ainsi un peu trop… badins). L’on ferme La Patte du Chat comme l’on tourne la dernière page de certains contes de Voltaire parmi les plus anodins : avec le sentiment d’avoir bien souri de connivence (entre gens intelligents, on se comprend, n’est-ce pas), mais avec une faim de sens, de profondeur non rassasiée. La forme l’a emporté sur le fond, le sourire en coin sur la réflexion – phénomène toujours observable de nos jours, malheureusement.
La mention de Voltaire, qui, peu après 1741, va créer le genre mineur à ses propres yeux qu’est le « conte philosophique » n’est pas innocente : on peut voir en La Patte du Chat un précurseur, du moins pour le genre et la tonalité (mais pas pour le propos, puisque Cazotte fut un opposant farouche de la philosophie des Lumières, au point de publier en 1783 une verte Voltairiade, parodie évidente de La Henriade parue soixante ans auparavant) d’un certain Zadig publié cinq ans plus tard à Amsterdam en toute clandestinité. Cela place donc La Patte du Chat dans une généalogie littéraire aussi pertinente que cruciale, avec de réelles qualités littéraires qu’analyse avec finesse et intelligence Guillaume Métayer dans une belle préface, « Le philosophe sans le savoir ». Mais peut-être eût-il été plus pertinent d’offrir à ce conte la place qu’il mérite véritablement, dans une forte anthologie du conte, parodique puis philosophique, au XVIIIe siècle, où il aurait brillé de son éclat véritable, plutôt qu’en proposer une réédition singulière où l’éclat contextuel qui est le sien est atténué par l’absence de points de comparaison dans l’histoire de la littérature – du moins pour le lecteur néophyte.
Didier Smal
Jacques Cazotte (1719-1792) mena tant une carrière politique que littéraire sous l’Ancien Régime. Son opposition à la philosophie des Lumières et aux principes révolutionnaires lui valut de mourir guillotiné. L’apocryphe « Prophétie de Cazotte » lui valut un statut quasi légendaire parmi les défenseurs de la cause royaliste.
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