La Part du feu, Norman MacLean (par Gilles Banderier)
La Part du feu, Norman Maclean, Payot & Rivages, mai 2024, trad. anglais (États-Unis) Jean Guiloineau, Laure Jouanneau-Lopez, 396 pages, 23 €
Ecrivain(s): Norman MacLean Edition: Rivages
C’est le genre de catastrophe qui n’est la faute de personne : les circonstances forment un enchevêtrement tellement compliqué que toute responsabilité directe est diluée. Le 5 août 1949, un groupe de pompiers-parachutistes (smokejumpers) fut lancé au cœur d’un feu de forêt, dans le ravin de Mann Gulch, État du Montana. Si l’on se rappelle de leur intervention (il suffit de taper Mann Gulch dans un moteur de recherches), c’est parce que quelque chose a très mal tourné.
Ces pompiers avaient été « projetés » à proximité du feu sans disposer d’eau ou de pompes et sans autre solution pour arrêter l’incendie que de creuser des tranchées à coups de pelle et de pioche. Parachutée séparément, la radio s’était écrasée au sol (cette impossibilité de communiquer n’est pas sans évoquer ce qui se produira le 11 septembre 2001 : la police de New York et les pompiers de New York utilisant des fréquences radio distinctes et incompatibles, les pompiers opérant à l’intérieur des tours en savaient moins que les journalistes à l’extérieur).
Des vents violents et soudains rendirent le feu incontrôlable et coupèrent toute retraite : sur le groupe de quinze jeunes gens, il n’y eut que trois survivants. Une photographie pénible publiée dans Life et reproduite dans ce volume, montrant un cerf couché sur le flanc et littéralement rôti en plein élan, donne une idée de la violence du brasier.
Nous sommes aux États-Unis et trois ans à peine après le drame (en Europe, il fallut attendre près de quatre décennies pour qu’un téléfilm allemand fût tourné sur la catastrophe de Los Alfaques), la Twentieth-Century Fox proposa un film inspiré de l’événement, Red Skies of Montana (Duel dans la forêt), avec Richard Widmark et, dans un de ses premiers rôles, Charles Bronson.
Norman Maclean (1902-1990) a grandi dans le Montana et y est revenu tout au long de sa vie, même si son activité professionnelle l’avait mené à l’université de Chicago. Il est connu pour un unique roman, A River Runs Through It (1976), adapté au cinéma par Robert Redford. Maclean fut rattaché à « l’école du Montana » ou, pour ceux que cette désignation à la fois commode et réductrice irrite, « l’école de la pêche à la mouche dans le Montana », où figurent Richard Brautigan, James Crumley, Thomas McGuane et, bien entendu, Jim Harrison.
Publié à titre posthume en 1992, La Part du feu n’est pas un roman, mais une enquête minutieuse sur une tragédie. Ancien forestier qui, enfant, avait été témoin du Big Burn de 1910, lequel consuma un million d’hectares et fit une centaine de morts (toujours dans le Montana), Maclean s’était rendu à Mann Gulch quelques jours après le sinistre. Durant les dernières années de sa vie, il interrogea les rares survivants de ce drame (lequel avait visiblement hanté sa mémoire), qui lui racontèrent des scènes venues de l’enfer ; il a arpenté le ravin maudit et dépouillé les rapports officiels, débusquant les non-dits, voire les inexactitudes ou les mensonges d’une enquête bâclée, où chacun voulait accuser le « pas de chance ».
Gilles Banderier
Norman Maclean (1902-1990), écrivain américain, est l’auteur d’un unique roman, Et au milieu coule une rivière (1976).
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