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La Nuit tombée, Antoine Choplin (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon 13.09.21 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Points

La Nuit tombée, 128 pages, 5,70 €

Ecrivain(s): Antoine Choplin Edition: Points

La Nuit tombée, Antoine Choplin (par François Baillon)

Gouri, écrivain public à Kiev, décide de revenir sur les lieux de son ancienne vie, à Pripiat, afin de récupérer un objet auquel il tient tout particulièrement ; il prend néanmoins le temps de s’arrêter à Chevtchenko en cours de route, pour y retrouver des amis restés sur place, Vera et Iakov.

Le propos de ce roman est très simple, mais à l’intérieur de ce propos, Antoine Choplin nous décrit une réalité grise, atrophiée, et cependant profonde. S’il devait faire l’objet d’une adaptation cinématographique, nul doute que le film serait économe en dialogues, et ponctué de regards expressifs et de silences pleins de signification.

Sous une apparence majoritairement descriptive, tandis qu’on suit l’itinéraire de Gouri à bord de sa moto, le livre nous parle de l’impossibilité d’un exil, de la volonté opiniâtre à rester sur les lieux où l’on a toujours vécu et que l’on persiste à vouloir rendre vivants, même quand une catastrophe comme celle de Tchernobyl voudrait tout faire cesser. À ce titre, l’histoire de la vieille dame à Ritchetsya, racontée par Iakov, a toutes les caractéristiques d’une histoire qui a vraiment pu se dérouler. Mais cette impossibilité de l’exil, plus qu’exprimée, est personnifiée par Gouri lui-même : en dépit du fait qu’il a su se recréer une vie à Kiev, il décide de prendre des risques inconsidérés pour avoir le simple privilège de reposer les pieds chez lui, et de récupérer un objet cher à son cœur.

L’attention portée avant tout aux regards et aux mouvements des personnages participe de l’élégance de ce roman. On notera que le style en est bref et direct ; non pas abrupt, mais on pourrait y déplorer parfois un manque de relief – tout comme, il est vrai, le paysage des campagnes ukrainiennes qui entoure Gouri, ou tout comme on fait face à une économie de mots dans les conversations des personnages. Ainsi, il faut reconnaître que cette intention d’Antoine Choplin entre en concordance avec l’atmosphère du roman. On relève, par ailleurs, cette originalité typographique à voir les dialogues mêlés au récit (aucun guillemet, aucun tiret ne les signale), comme si tout se confondait là en une suite uniforme – ceci justifiant d’autant mieux le titre choisi, La Nuit tombée.

Pas de larmoiement, pas d’espoir non plus, un simple présent que chaque personnage tient à vivre. Enfin, quelques poèmes, nés sous la plume de Gouri lui-même, ainsi que ses rêveries très rares, parachèvent un tableau émouvant où, malgré la volonté des protagonistes, le temps semble s’être bel et bien figé : « Il y a, dans le sombre des lieux, de curieuses trouées. Vers le haut, des fragments de ciel étoilé se faufilent parmi les frondaisons et c’est comme si l’univers dégringolait jusque-là pour se mettre à exister pour de bon, presque à portée de main » (p.112).

 

François Baillon

 

Antoine Choplin, né en 1962, poète et romancier, est également directeur artistique du festival de l’Arpenteur, dans l’Isère. Beaucoup de ses romans ont été publiés aux Éditions La Fosse aux Ours. La Nuit tombée (2012) a remporté le Prix du Roman France Télévisions. Quelques jours dans la vie de Tomas Kuzar (2017) a reçu le Prix Louis-Guilloux.

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A propos de l'écrivain

Antoine Choplin

 

Antoine Choplin est l’auteur de Radeau (La Fosse aux Ours, 2003) et du Héron de Guernica (Editions du Rouergue, 2011), il a obtenu le prix du Roman France Télévisions 2012 pour La nuit tombée.

 

A propos du rédacteur

François Baillon

 

Diplômé en Lettres Modernes à la Sorbonne et ancien élève du Cours Florent, François Baillon a contribué à la revue de littérature Les Cahiers de la rue Ventura, entre 2010 et 2018, où certains de ses poèmes et proses poétiques ont paru. On retrouve également ses textes dans des revues comme Le Capital des Mots, ou Délits d’encre. En 2017, il publie le recueil poétique 17ème Arr. aux Editions Le Coudrier.